Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/321

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mobile et convulsive à la fois. Les uns laissent pendre leurs bras, les autres les tordent ; quelques-uns joignent les mains. Il est certain qu’une expression de terreur et d’angoisse est sur toutes ces faces qui ont vu l’intérieur du sépulcre. De quelque façon que le tombeau le traite, le corps des morts est terrible.

Pour moi, comme vous avez déjà pu l’entrevoir, ce n’étaient pas des momies ; c’étaient des fantômes. Je voyais toutes ces têtes tournées les unes vers les autres, toutes ces oreilles qui paraissent écouter penchées vers toutes ces bouches qui paraissent chuchoter, et il me semblait que ces morts arrachés à la terre et condamnés à la durée vivaient dans cette nuit d’une vie affreuse et éternelle, qu’ils se parlaient dans la brume épaisse de leur cachot, qu’ils se racontaient les sombres aventures de l’âme dans la tombe, et qu’ils se disaient tout bas des choses inexprimables.

Quels effrayants dialogues ! que peuvent-ils se dire ? Ô gouffres où se perd la pensée ! Ils savent ce qu’il y a derrière la vie. Ils connaissent le secret du voyage. Ils ont doublé le promontoire. Le grand nuage s’est déchiré pour eux. Nous sommes encore, nous, dans le pays des conjectures, des espérances, des ambitions, des passions, de toutes les folies que nous appelons sagesses, de toutes les chimères que nous nommons vérités. Eux, ils sont entrés dans la région de l’infini, de l’immuable, de la réalité. Ils connaissent les choses qui sont et les seules choses qui soient. Toutes les questions qui nous occupent nuit et jour, nous rêveurs, nous philosophes, tous les sujets de nos méditations sans fin, but de la vie, objet de la création, persistance du moi, état ultérieur de l’âme, ils en savent le fond ; toutes nos énigmes, ils en savent le mot. Ils connaissent la fin de tous nos commencements. Pourquoi ont-ils cet air terrible ? Qui leur fait cette figure désespérée et redoutable ?

Si nos oreilles n’étaient pas trop grossières pour entendre leur parole, si Dieu n’avait pas mis entre eux et nous le mur infranchissable de la chair et de la vie, que nous diraient-ils ? Quelles révélations nous feraient-ils ? Quels conseils nous donneraient-ils ? Sortirions-nous de leurs mains sages ou fous ? Que rapportent-ils du tombeau ?

Ce serait de l’épouvante, s’il fallait en croire l’apparence de ces spectres. Mais ce n’est qu’une apparence, et il serait insensé d’y croire. Quoi que nous fassions, nous rêveurs, nous n’entamons la surface des choses qu’à une certaine profondeur. La sphère de l’infini ne se laisse pas plus traverser par la pensée que le globe terrestre par la sonde.

Les diverses philosophies ne sont que des puits artésiens ; elles font toutes jaillir du même sol la même eau, la même vérité mêlée de boue humaine et échauffée de la chaleur de Dieu. Mais aucun puits, aucune philosophie