Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pelle bâtie par la margrave sybille. Triple blason de la margrave dans le tympan. Dédicace où la vierge est qualifiée comme je ne l’ai vu nulle part, d’une façon qui sent un peu l’hérésie, ce me semble : Filia dei patris ; matri dei fila et sponsæ dei Spiritits sancti, beatæ Maria Virgini. Dans la chapelle une lampe qui brûle. Une madone, vraie madone espagnole, entourée d’ex-voto, vêtue de brocart d’or et de perles derrière son grillage, avec le bambino couronné dans ses bras. Devant la madone prie une pauvre femme en haillons qui tient aussi un enfant.

Sous les feuilles jaunes, fontaines taries, bassin effacé. Grand gazon devant la façade coupé par une allée en croix qui le fait ressembler à un blason de la croisade posé à terre. Volets dorés par le haut, noircis de vétusté par le bas, fermés. Un promeneur dans le jardin. Un seul. Un vieillard. À l’aile gauche, porte de fer, volets de fer fermés. Effet sinistre.

Façade sur la ville, copie de celle de Versailles. Guérites creusées dans les piédestaux des statues qui font que Minerve et Hercule ont un soldat badois entre les jambes.

Pendant que j’errais dans le jardin, l’horloge de ce château, si joyeux et si brillant jadis, maintenant sombre, muet et désert, a frappé lentement et tristement douze coups. On eût dit qu’elle sonnait minuit à midi.


VII


27 octobre.

J’ai traversé la plaine du Rhin en ligne directe, dans sa largeur, de Heidelberg à Dürkheim, des montagnes du Neckar aux collines d’Eisenach, dix lieues dont j’ai fait une moitié le matin en chemin de fer et l’autre le soir en voiturin. À Mannheim j’ai passé le Rhin sur un pont de bateaux.

Dans les champs, vaste plaine plate et nue en automne, les grands faisceaux des perches du houblon imitent les tentes d’un camp, et quand on approche de Philippshall les baraques de la Saline ajoutent à l’illusion.

À Dürkheim, pendant que le cocher fait manger l’avoine à son cheval, ascension aux ruines de l’abbaye de Limbourg, à la nuit tombante. — Fondée en 1030 par l’empereur Conrad II et l’impératrice Gisèle sur l’emplacement de leur château où leur fils Conrad s’était tué par accident. Dévastée en 1504 par Enrich VIII, comte de Linange-Dabo. Brûlée. — Le tombeau du jeune Conrad est dans ces décombres. On dit que son ombre y revient. Je n’ai rien vu.

Le ciel visible par vingt-trois fenêtres crevées. Rires des enfants dans les