Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/509

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Goulet étroit d’un côté. Jetée cyclopéenne en pierres brunes reliée par seize poutres verticales que réunit au sommet une longue étrave de bois. — Cette jetée barre le port. Au fond, dix-sept pieux à cabestans. En avant de ces pieux, talus de roche. Pavage informe, couvert de barques échouées (en ce moment il y en a sept). À droite au fond, un des porches a été creusé jusqu’à percer le roc. On l’a voûté. C’est l’entrée de l’île. Je l’ai comparé à un trou de taupe.

Dans un coin une source muselée aujourd’hui d’un robinet où filtre goutte à goutte une eau, la meilleure de l’île.

Au fond, les rochers imitent des proues de navire engagées dans l’herbe et le lierre. Une en haut, énorme, l’autre en bas, moindre avec un rostre.


2 juin. — Vu le Gouliot, c’est-à-dire les caves près le havre Gosselin. — Vu la grotte que j’ai nommée grotte Charles.

Toute l’île est un miracle d’une lieue de long. Les souffles en s’épanouissant à la surface de la mer font de grands éventails de rides sur l’eau.

Les oiseaux de mer se plaignent sur des modes bizarres ; les uns sifflent ; les autres miaulent ; d’autres font le bruit d’un homme qui crache.


7 juin, 1 heure et demie. — Tempête qui approche. Je suis sur le cap Dicart. Tout le ciel fond gris comme une grande ardoise. En travers, du sud au nord, un immense nuage blanchâtre transversal. Au point où il touche l’horizon, un vaste écrasement de vapeur rouge, sorte de lueur sinistre diffuse. La mer, autre ardoise énorme. De petits nuages noirs, près de terre, volent en sens contraire du grand, comme s’ils ne savaient que devenir. Les oiseaux se cachent. Feux de peloton dans la nuée.

Pas de vent, pas de vagues ; pas une voile en mer. On sent de la trahison dans l’infini.

La mère Vaudin passe et me dit : Il y a une petite barque qui vient de partir pour Guernesey. C’est grande pitié.

Le nuage crève. De grandes araignées de pluie s’écrasent autour de moi sur le rocher.