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Rouen, 15 août.

Comme je voyage au hasard des voitures que je rencontre, me voici à Rouen, chère amie. J’ai à peu près renoncé à aller à Caen, ce qui m’eût entraîné trop loin. Je t’écris avant d’avoir rien vu de Rouen, où je suis arrivé hier à onze heures du soir, par un clair de lune qui, du haut de la côte, m’a fait des ombres de la ville et des clartés de la Seine un admirable paysage.

J’ai vu d’ailleurs, depuis que je t’ai écrit, de magnifiques choses, le clocher roman de Montivilliers, la forêt de mâts du Havre, l’aiguille évidée d’Harfleur ; Lillebonne, où il y a trois monuments de trois idées, une église gothique, un donjon féodal, un cirque romain ; Tancarville, dont le château ruiné est plus beau qu’un palais debout ; Caudebec, qui n’est qu’une dentelle de pierre ; Saint-Wandrille, auge magnifique où s’ébat un hideux pourceau dévastateur nommé Lenoir ; Jumièges, qui est encore plus beau que Tournus ; et, à travers tout cela, la Seine, serpentant sur le tout.

Aujourd’hui je vais voir Rouen.

Tu vois, mon Adèle, qu’aucune de ces belles et bonnes choses ne m’empêche de songer à toi, pauvre amie. Tu es la plus belle des choses qui sont belles, tu es la meilleure des choses qui sont bonnes. — Avec quelle joie je te reverrai !

Il me reste à parcourir les bords de la Seine après Rouen. Je les serrerai le plus près possible, et, s’il me reste assez d’argent, je ferai un détour par Gisors pour aller jusqu’à Compiègne voir Pierrefonds qui manque à ma collection de châteaux.

En attendant les bons et vrais baisers, je t’embrasse ici, mon Adèle, et nos chers petits, et Martina Leusurica y Galassa. — Aime-moi.

Ton meilleur et plus sûr ami.

V.

Écris-moi toujours à Mantes, poste restante.