Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/556

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de foudre a tué le pauvre paysan et la pauvre bête. On ne se figure pas Dieu dépensant son tonnerre à tuer un homme et une chèvre. Il a été frappé de la foudre au lieu dit Fontaine-au-Chat. J’ouvre une souscription pour sa veuve et ses enfants.


10 juillet. — Meurice et Mme Meurice sont arrivés. Nous dînons ensemble. À partir d’aujourd’hui ils sont mes hôtes.


12 juillet. — Pluie. Promenade mouillée, par le sentier de la colline à travers la forêt. Sur la montagne passe un paysan en blouse bleue, une branche de broussaille à la main, menant trois cochons. C’est le comte de Falkenstein. M. André, le gentleman prussien, châtelain de Roth, l’a accosté et lui a dit Goodtag, Graf of Falkenstein.


14 juillet. — Ce soir, j’étais rentré me coucher à dix heures. Je dormais. On frappe violemment à ma porte. Je m’éveille. Je vois une grande clarté. Il semblait qu’il fît soleil dans ma chambre. Il était minuit. Je vais à la fenêtre. Je l’ouvre. Lueur immense sur la ville, sur la montagne et sur la ruine. Je me retourne, et je vois à deux cents pas de la maison comme un cratère en éruption. Dix maisons brûlaient. Toutes à toits de chaume. La ville s’éveillait avec un bruit de fourmilière effrayée. La rue était pleine de femmes fuyant et d’hommes arrivant. On sonnait le tocsin. Le vieil évêque de pierre qui est au milieu du pont était tout rouge.

Je me suis levé et habillé, et j’ai roulé dans un mouchoir le manuscrit de l’Année terrible. À ce moment, Mariette est arrivée. La brave fille avait peur, pour nous seulement, pour Jeanne, pour moi. Je suis allé à l’hôtel Koch portant mon manuscrit. Tout dans l’hôtel était terreur et ténèbres. Je suis entré dans le couloir d’en bas en courant. Tout à coup je me heurte et je tombe. On venait de descendre une malle qu’on avait roulée au bas de l’escalier sans prendre la peine de l’éclairer. La chute fut rude. Pourtant je n’ai eu que trois contusions, aux deux genoux et à la hanche.

Ces dames étaient réveillées. Alice se trouvait mal. Les enfants dormaient. On poussait dans la rue des cris d’épouvante : Feuer ! Feuer ! au feu ! au feu ! L’incendie était tout près, mais le vent portait à l’est, ce qui diminuait notre danger.

Je suis entré dans une des maisons qui brûlaient. J’ai offert ma chambre à une jeune femme effarée qui avait dans ses bras un enfant. Puis j’ai organisé la chaîne. J’ai fait mettre les femmes et enfants en file jusqu’à la rivière pour les seaux vides et les hommes en file en face pour les seaux pleins. Je me suis mis du côté des seaux pleins. J’ai fait la chaîne depuis