Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/563

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morte. Les habitants sont indignés et consternés. Partout des ruines. Pourtant on commence à rebâtir.

Nous sommes allés à la mairie ; la maison de ville étant brûlée, la mairie se tient dans un logis quelconque sur lequel on lit ce mot écrit à la main au-dessus de la porte : Mairie. Nous sommes entrés dans une salle basse où des hommes étaient assemblés. J’ai demandé : Quelqu’un pourrait-il m’indiquer la maison où a logé en 1814 et 1815 le général qui a défendu Thionville ? Un vieillard, le maire, m’a dit : Le général Hugo ? J’ai répondu : Oui. Alors un d’eux, m’ayant reconnu, a dit à demi-voix aux autres : C’est son fils, Victor Hugo. Tous se sont levés. On a parlé. Mon père a laissé une grande trace dans cette ville. On l’admire et on le vénère. Ces hommes étaient les membres du conseil municipal. Ils étaient en séance. J’y étais entré brusquement. L’émotion était grande ; un d’eux s’est écrié : Si nous avions eu en 1870 l’homme que nom avions en 1814, Thionville ne serait plus aujourd’hui prussienne ! Un d’eux, un nommé M. François, s’est offert pour me conduire à la maison que mon père avait habitée.

J’ai demandé au maire, M. Arnould : Ou sont vos archives ? Je voudrais voir les dossiers relatifs au siège de 1814 ou mon père commandait. — Il m’a répondu : Nous n’avons plus d’archives. Tout est brûlé. Nous avions dans la grande salle de la mairie ou se tenait le conseil municipal le portrait de votre père. La salle a été brûlée, le portrait aussi. J’ai répondu : Tant mieux. Du moins mon père n’est pas prisonnier de la Prusse. Il méritait d’être tué ici en effigie avec votre liberté. L’émotion nous gagnait. Les yeux étaient humides.

Nous sommes allés rue des Vieilles-Portes, no 326. C’est là qu’était, et n’est plus, la maison habitée par mon père en 1814 et 1815. Elle a été brûlée. On l’a rebâtie. Il en reste pourtant une grande porte cochère et la façade intérieure sur la cour, avec les écuries, les remises, les cuisines, petit corps de logis style Louis XIV, surmonté d’un jardinet en terrasse dont le haut mur laisse voir les arbres du rempart. Aux deux angles du petit jardin, il y a deux pavillons, même style, dont les vitres sont brisées par le bombardement. Entre ces pavillons une petite porte par où mon père allait sur le rempart auquel la maison est comme attenante. À l’intérieur il ne reste rien de ce qui a vu mon père, qu’un escalier de pierre et une petite glace trumeau encadrée d’une baguette dorée avec des bergers et des moutons peints dans le goût Louis XVI. La maîtresse du logis, jeune, nous parlait de mon père avec respect. C’est la tradition de Thionville.

Une vieille dame a connu mon père. Elle s’appelle Mme Durand. Elle a aujourd’hui soixante-dix-huit ans. On m’a offert de me conduire chez elle. J’ai accepté. Un lycéen qui était là, coiffé d’un képi, figure intelligente, m’a prié de lui permettre de me conduire. Il est le petit-neveu de la vieille