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1836




chartres.
La Louppe, 18 juin 1836.

Me voici installé à une table d’auberge à la Louppe, gros bourg à neuf lieues de Chartres, et mon premier soin est de t’écrire, mon Adèle. Depuis notre départ, nous n’avons pas eu une minute, Nanteuil et moi, Nanteuil dessinant, moi explorant. Le premier jour nous avons déjeuné à Chevreuse et couché à Rambouillet.

Je t’ai déjà souvent parlé de Chevreuse, dont le château, quoique coiffé de toits absurdes par un meunier, est encore d’un assez grand aspect. Quant à Rambouillet, hormis le parc, ville et château sont parfaitement insipides. Il y a cependant encore au château une assez belle grosse tour, sur laquelle viennent bêtement s’appuyer deux méchantes façades d’un pauvre goût moderne. La route depuis Bièvre est charmante. Le lendemain nous avons vu Maintenon avec son admirable petit châtelet du quinzième siècle et son immense aqueduc ruiné du dix-septième, et enfin Chartres qui nous est apparu de loin dans l’averse la plus pittoresque du monde.

Ici il faudrait des volumes et des millions de points d’exclamation. La cathédrale de Chartres est une merveille.

Nous avons passé trente-six heures dedans, dessus et dessous, arpentant les nefs, descendant dans la crypte, grimpant dans les clochers, regardant avidement l’édifice dans tous les sens, et nous n’en savons rien, sinon qu’il faudrait six mois d’études pour avoir une idée un peu complète de ce qu’il contient. Moi, j’en suis encore à cette première impression que font les grandes choses et qui est tout éblouissement.

L’intérieur de l’église est d’un effet prodigieux. La nef est haute et sombre, les vitraux fourmillent de diamants, les bas-reliefs du pourtour du chœur avec leurs encadrements à jour forment une des plus admirables broussailles de pierre que l’art ait jamais fait fleurir au point de jonction du quinzième et du seizième siècles. Magnifique église ! Autant de détails que dans une forêt, autant de tranquillité et de grandeur. Cet art-là est vraiment fils de la