Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/227

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paysan l’ignore. Il croit mettre un homme dans l’urne, il y met une ombre. Au lieu du vrai Napoléon qu’il rêve, on a le faux. — De là tous les abîmes.

Mais cette idée, posséder, si vous lui ôtez son contrepoids moral, la religion, et si vous ne mettez pas : sa place cet autre contrepoids moral, le droit, cette idée, posséder, se dénature, se corrompt et se transforme en cette autre idée qui est son vice : prendre. — De là les jacqueries.

Ne sait pas le nom de Voltaire et est voltairien.

Curé — détruit la religion.

Maire — compromet l’autorité.

Maître d’école — bâillonné.

Le paysan, bonapartiste ou jacque (tout en protestant contre la jacquerie ; faire remarquer les oui unanimes des départements dits rouges insurgés). Les villes font les révolutions ; les campagnes font les réactions. Selon le vent qui souffle, le paysan a peur ou il a appétit. S’il a peur, bonapartiste. S’il a appétit, jacque. — Il voit toujours tout d’un côté.

Les campagnes soulevées, sauf la déplorable et héroïque exception de la guerre vendéenne, ne peuvent produire que des jacqueries ou des chouanneries.

LES PAYSANS.

C’est une âme simple, dites-vous. Dans les temps compliqués, méfiez-vous des âmes simples. Une âme simple est une cloche dont la corde pend à la discrétion du premier passant venu. Selon que ce sera l’esprit de foi et de prière qui la saisira ou l’esprit de jacquerie, cette cloche sonnera indifféremment l’angelus ou le tocsin.

L’ouvrier des villes n’est pas une âme simple. Il travaille, il chôme, il souffre, il songe, il parle, il cause, il se replie en lui-même, il se répand au dehors ; il lit : chose suprême ! Il achète le journal pour un sou, il trouve un livre dépareillé, il l’ouvre. Il se retranche de son nécessaire pour ce superflu qui est le vrai nécessaire. J’ai vu rue Pigalle un savetier qui s’était fait une petite bibliothèque sur la planche de son échoppe. L’ouvrier pense et vit. Les idées générales, c’est-à-dire les idées généreuses — c’est le même mot — germent en lui. Il a la tête haute et son regard voit loin. Il a un horizon. Il souffre souvent, et se lamente peu. Il a, chose admirable, de la pitié de reste. Il ne voit pas dans ce monde que ses haillons. Il sait que la douleur peut pendre en affreuses guenilles dans le cœur des riches, il plaint les riches. Toutes les misères l’émeuvent, un peuple esclave aussi bien qu’un petit enfant affamé. Je dis toutes les misères, et je n’en excepte aucune. Prononcez devant lui le nom de Marie-Antoinette, et vous le laissez pensif. Le 24 février 1848, en pleine foule, en pleine place de la Bastille, moi qui écris ceci, j’ai dit au peuple armé, menaçant, héroïque, ivre de sa république proclamée depuis deux heures, les douleurs de madame la duchesse d’Orléans, veuve, en deuil, précipitée, frappée dans son mari, frappée dans ses enfants qu’on croyait perdus, et j’ai vu des larmes dans les yeux des chiffonniers de la rue Sainte-Marguerite qui étaient là. — Ô bon peuple de Paris ! ô grand peuple ! qui connaîtra ton âme l’aimera.

C’est parce que l’ouvrier des villes est ainsi qu’il fait les révolutions, c’est parce