a fini par s’absorber dans une unité supérieure, le royaume ; parce que la Normandie et la Picardie, parce que la Bourgogne et l’Aquitaine sont devenues la France. Eh bien ! qu’est-ce que cela ? c’est une loi. Une loi historique et politique. La loi de la civilisation même : l’absorption et par conséquent la pacification des unités inférieures par les unités supérieures, la transition de l’état sauvage à l’état policé, de l’état de barbarie à l’état d’harmonie. On se bat de famille à famille, puis on s’allie et l’on devient une tribu ; on se bat de tribu à tribu, puis on s’allie et l’on devient une commune ; on se bat de commune à commune, puis on s’allie et l’on devient une province ; on se bat de province à province, puis on s’allie et l’on devient une nation ; on se bat de nation à nation, puis on s’allie et l’on devient une fédération continentale. La loi de l’histoire le veut.
Celui qui écrit ces lignes a déjà indiqué ailleurs toutes ces évidences, mais on ne saurait trop les répéter, et il insiste ici : le jour approche, et nous le verrons, où l’accomplissement de la grande loi que nous venons d’indiquer, commencée parmi nous depuis tant de siècles, s’achèvera sur notre vieux continent ; le jour approche où ces grandes unités qu’on appelle nations et royaumes s’absorberont dans cette unité suprême, le continent, où, de même que la Picardie, la Normandie, la Bretagne, l’Anjou et l’Aquitaine sont devenus la France, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre deviendront l’Europe ; aujourd’hui vivant en guerre, demain vivant en paix, avec un parlement continental pour arbitre ; aujourd’hui royaumes divisés, demain Etats-Unis. Ceci, qu’on le sache, est l’avenir inévitable et prochain. À l’heure qu’il est, l’Europe s’appelle Guerre et l’Amérique s’appelle Union ; le moment arrive, et ce sera là l’œuvre grandiose de notre siècle, où l’Europe s’appellera Union comme l’Amérique.
Et alors, premier bénéfice : les armées permanentes de moins, quatre milliards de plus par an : quatre mille millions tous les ans laissés ou restitués à l’industrie, à l’agriculture, au commerce, au travail profitable des peuples fraternels ; deuxième bénéfice : la suppression des octrois et des douanes, la circulation décuplée, la richesse centuplée, le bien-être remplaçant le malaise, le socialisme en grand sans terrorisme et par la paix, aucune spoliation pour ni contre qui que ce soit, accroissement d’aisance pour tous, les problèmes sociaux se résolvant pour ainsi dire d’eux-mêmes et comme par enchantement. Et que faut-il pour amener ce résultat merveilleux, le bonheur de deux cents millions d’hommes ? non pas quelques têtes, mais quelques couronnes de moins en Europe. Que faut-il faire ? deux pas : la libération des peuples opprimés et la fédération des peuples libres. Aucun bouleversement intérieur pour des états qui comme l’Angleterre, la Belgique, le Piémont, le Portugal et la Suisse, sont déjà, sous des noms divers, des républiques. Et l’on doute que l’humanité fasse ces deux pas ! Ah ! elle les fera, et souhaitons-le ardemment ! souhaitons cette dernière guerre que j’ai appelée quelque part la guerre des patries contre les royaumes[1], et d’où sortiront les États-Unis d’Europe, d’où sortira le parlement continental, la fédération des nations, la fusion des races, la civilisation suprême, la Paix ! Ne l’oublions pas, on ne clora la révolution universelle que par la république universelle.
- ↑ Littéralure et Philosophie mêlées (1830).