condamnent à la prison perpétuelle. On l’enferme à Ham. Là son esprit parut se replier et mûrir ; il écrivit et publia des livres empreints, malgré une certaine ignorance de la France et du siècle, de démocratie et de foi au progrès : l’Extinction du paupérisme, l’Analyse de la question des sucres, les Idées napoléoniennes où il fit l’empereur « humanitaire ». Dans un livre intitulé Fragments historiques, il écrivit : « Je suis citoyen avant d’être Bonaparte. » Déjà, en 1832, dans son livre des Rêveries politiques, il s’était déclaré « républicain ». Après six ans de captivité, il s’échappa de la prison de Ham, déguisé en maçon, et se réfugia en Angleterre. Février arriva, il acclama la République, vint siéger comme représentant du peuple à l’Assemblée constituante, monta à la tribune le 21 septembre 1848, et dit : « Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République », publia un manifeste qui peut se résumer en deux lignes : liberté, progrès, démocratie, amnistie, abolition des décrets de proscription et de bannissement ; fut élu président par cinq millions cinq cent mille voix, jura solennellement la Constitution le 20 décembre 1848, et, le 2 décembre 1851, la brisa. Dans l’intervalle il avait détruit la République romaine et restauré en 1849 cette papauté qu’il voulait jeter bas en 1831. Il avait en outre pris on ne sait quelle part à l’obscure affaire dite Loterie des lingots d’or ; dans les semaines qui ont précédé le coup d’État, ce sac était devenu transparent et l’on y avait aperçu une main qui ressemblait à la sienne. Le 2 décembre et les jours suivants, il a, lui pouvoir exécutif, attenté au pouvoir législatif, arrêté les représentants inviolables, chassé l’Assemblée, dissous le conseil d’État, expulsé la Haute Cour de justice, supprimé les lois, pris vingt-cinq millions à la Banque, gorgé l’armée d’or, mitraillé Paris, terrorisé la France, jonché les rues de cadavres, versé des flots de sang ; depuis il a proscrit quatre-vingt-quatre représentants du peuple, volé aux princes d’Orléans les biens de Louis-Philippe leur père, auquel il devait la vie, décrété le despotisme en cinquante-huit articles sous le titre de Constitution, employé l’armée à la honte, garrotté la République, fait de l’épée de la France un bâillon dans la bouche de la liberté, brocanté les chemins de fer, fouillé les poches du peuple, réglé le budget par ukase, déporté en Afrique et à Cayenne dix mille démocrates, exilé en Belgique, en Espagne, en Piémont, en Suisse et en Angleterre quarante mille républicains, mis dans toutes les âmes le deuil et sur tous les fronts la rougeur.
Louis Bonaparte croit monter au trône, il ne s’aperçoit pas qu’il monte au poteau.