Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/353

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la Providence eût donné à Oudinot l’âme de Tamisier ou à Tamisier les épaulettes d’Oudinot.

Dans cette sanglante aventure de décembre, il nous manqua un habit de général bien porté. Il y a un livre à faire sur le rôle de la passementerie dans la destinée des nations.

Tamisier, nommé chef d’état-major quelques instants avant l’invasion de la salle, se mit aux ordres de l’Assemblée. Il était debout sur une table. Il parlait avec une voix vibrante et cordiale. Les plus décontenancés se rassuraient devant cette attitude modeste, probe, dévouée. Tout à coup il se redressa et, regardant en face toute cette majorité royaliste, il s’écria : – Oui, j’accepte le mandat que vous m’offrez ! j’accepte le mandat de défendre la République ! rien que la République, entendez-vous bien ?

Un cri unanime lui répondit : Vive la République !

— Tiens, dit Beslay, la voix vous revient comme au 4 mai ! – Vive la République ! rien que la République ! répétaient les hommes de la droite, Oudinot plus fort que les autres. Tous les bras se tendirent vers Tamisier, toutes les mains serrèrent la sienne. Ô danger ! irrésistible convertisseur ! à l’heure suprême l’athée invoque Dieu et le royaliste la République. On se cramponne à ce qu’on a nié.

Les narrateurs officiels du coup d’État ont raconté que, dès les commencements de la séance, deux représentants avaient été envoyés par l’Assemblée au ministère de l’intérieur pour « négocier ». Ce qui est certain, c’est que ces deux représentants n’avaient aucun mandat. Ils se présentèrent, non de la part de l’Assemblée, mais en leur nom propre. Ils s’offrirent comme intermédiaires pour terminer pacifiquement la catastrophe commencée. Ils sommèrent, avec une probité un peu ingénue, Morny de se constituer prisonnier et de rentrer sous la loi, lui déclarant qu’en cas de refus l’Assemblée ferait son devoir et appellerait le peuple à la défense de la Constitution et de la République. Morny leur répondit par un sourire assaisonné de ces simples paroles : – Si vous faites un appel aux armes et si je trouve des représentants sur les barricades, je les fais tous fusiller jusqu’au dernier.

Le réunion du Xe arrondissement céda à la force. Le président Vitet exigea qu’on mît la main sur lui. L’agent qui le saisit était pâle et frissonnait. Dans de certains cas, mettre la main sur un homme, c’est la mettre sur le droit, et ceux qui l’osent ont le tremblement de la loi touchée.

La sortie de la mairie fut longue et embarrassée. Il s’écoula une demi-heure environ tandis que les soldats faisaient la haie et que les commissaires de police, tout en ne semblant occupés que du soin de refouler les passants dans la rue, envoyaient chercher des ordres au ministère de l’intérieur.