La ruse : nous avons caractérisé déjà ce grand côté de Louis Bonaparte, mais il est utile d’y insister.
Le 27 novembre 1848, il disait à ses concitoyens dans son manifeste :
« Je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque entre vous et moi. Je ne suis pas un ambitieux… Élevé dans les pays libres, à l’école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m’imposeront vos suffrages et les volontés de l’Assemblée.
« Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli. »
Le 31 décembre 1849, dans son premier message à l’Assemblée, il écrivait : « Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la Constitution que j’ai jurée. » Le 12 novembre 1850 dans son second message annuel à l’Assemblée il disait : « Si la Constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes tous libres de les faire ressortir aux yeux du pays ; moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu’elle a tracées. » Le 4 septembre de la même année, à Caen, il disait : « Lorsque partout la prospérité semble renaître, il serait bien coupable, celui qui tenterait d’en arrêter l’essor par le changement de ce qui existe aujourd’hui. » Quelque temps auparavant, le 22 juillet 1849, lors de l’inauguration du chemin de fer de Saint-Quentin, il était allé à Ham, il s’était frappé la poitrine devant les souvenirs de Boulogne, et il avait prononcé ces paroles solennelles :
« Aujourd’hui qu’élu par la France entière je suis devenu le chef légitime de cette grande nation, je ne saurais me glorifier d’une captivité qui avait pour cause l’attaque contre un gouvernement régulier.
« Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entraînent de maux après elles, on comprend à peine l’audace d’avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d’un changement ; je ne me plains donc pas d’avoir expié ici, par un emprisonnement de six années, ma témérité contre les lois de ma patrie, et c’est avec bonheur que, dans ces lieux mêmes où j’ai souffert, je vous propose un toast en l’honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions de leur pays. »
Tout en disant cela, il conservait au fond de son cœur, et il l’a prouvé depuis, à sa façon, cette pensée écrite par lui dans cette même prison de Ham : « Rarement les grandes entreprises réussissent du premier coup.[1] »
Vers la mi-novembre 1851, le représentant F…[2], élyséen, dînait chez M. Bonaparte :
— Que dit-on dans Paris et à l’Assemblée ? demanda le président au représentant.