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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/417

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ques heures après, Aubry (du Nord) et plus tard un ami de Cournet appelé Gay le rencontrèrent dans le faubourg du Temple un pot de colle à la main et appliquant la proclamation à tous les coins de rue, à côté même de l’affiche Maupas qui menaçait de la peine de mort quiconque serait trouvé placardant un appel aux armes. Les groupes lisaient les deux affiches à la fois. Détail qu’il faut noter, un sergent de la ligne en uniforme, en pantalon garance et le fusil sur l’épaule, accompagnait l’ouvrier et le faisait respecter. C’était sans doute un soldat sorti du service depuis peu.

L’instant fixé la veille pour le rendez-vous général était de neuf à dix heures du matin. Cette heure avait été choisie afin qu’on eût le temps d’avertir tous les membres de la gauche ; il convenait d’attendre que les autres représentants arrivassent, afin que le groupe ressemblât davantage à une assemblée et que ses manifestations eussent plus d’autorité sur le faubourg.

Plusieurs des représentants déjà arrivés n’avaient pas d’écharpe. On en fit à la hâte quelques-unes dans une maison voisine avec des bandes de calicot rouge, blanc et bleu, et on les leur apporta. Baudin et de Flotte furent de ceux qui se revêtirent de ces écharpes improvisées.

Cependant il n’était pas encore neuf heures que déjà des impatiences se manifestaient autour d’eux [1]. Ces généreuses impatiences, plusieurs les partageaient.

Baudin voulait attendre.

— Ne devançons pas l’heure, disait-il, laissons à nos collègues le temps d’arriver.

Mais on murmurait autour de Baudin :

— Non, commencez, donnez le signal, sortez. Le faubourg n’attend que la vue de vos écharpes pour se soulever. Vous êtes peu nombreux, mais on sait que vos amis vont venir vous rejoindre. Cela suffit. Commencez.

La suite a prouvé que cette hâte ne pouvait produire qu’un avortement. Cependant ils jugèrent que le premier exemple que devaient les représen-

  1. « Il y eut aussi malentendu sur le moment fixé. Quelques-uns se trompèrent et crurent que c’était à neuf heures. Les premiers arrivés attendirent avec impatience leurs collègues. Ils étaient, comme nous l’avons dit, au nombre de douze à quinze à huit heures et demie. — Le temps se perd, s’écria l’un d’eux à peine entré, mettons nos écharpes, montrons les représentants à la population, élevons avec elle des barricades. Nous sauverons le pays peut-être, l’honneur du parti à coup sûr. Allons, faisons des barricades. – Tous furent immédiatement du même avis ; un seul, le citoyen Baudin, reproduisit la terrible objection : Nous ne sommes pas en nombre pour adopter une semblable résolution. – Mais il se rallia d’entrain au sentiment général, et, la conscience tranquille, après avoir réservé le principe, il ne fut pas le dernier à ceindre son écharpe. » SCHŒLCHER, Histoire des crimes du 2 décembre, p. 130-131.