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vi
DÉCRETS DES REPRÉSENTANTS RESTÉS LIBRES.

Le texte de l’arrêt que l’on croyait rendu par la Haute Cour de justice nous avait été apporté par l’ancien constituant Martin (de Strasbourg), avocat à la cour de cassation. En même temps nous apprenions ce qui se passait rue Aumaire. La bataille s’engageait, il importait de la soutenir et de l’alimenter ; il importait de placer toujours la résistance légale à côté de la résistance armée. Les membres réunis la veille à la mairie du Xe arrondissement avaient décrété la déchéance de Louis Bonaparte ; mais ce décret, rendu par une réunion presque exclusivement composée des membres impopulaires de la majorité, pouvait être sans action sur les masses ; il était nécessaire que la gauche le reprît, le fît sien, lui imprimât un accent plus énergique et plus révolutionnaire, et s’emparât de l’arrêt de la Haute Cour, que l’on croyait réel, pour prêter main-forte à cet arrêt et le rendre exécutoire.

Dans notre appel aux armes, nous avions mis Louis Bonaparte hors la loi. Le décret de déchéance, repris et contresigné par nous, s’ajoutait utilement à cette mise hors la loi, et complétait l’acte révolutionnaire par l’acte légal.

Le comité de résistance convoqua les représentants républicains.

L’appartement de M. Grévy où nous étions étant trop resserré, nous assignâmes pour lieu de réunion le n° 10 de la rue des Moulins, quoique avertis que la police avait déjà fait une descente dans cette maison. Mais nous n’avions pas le choix ; en révolution, la prudence est impossible, et l’on s’aperçoit bien vite qu’elle est inutile. Se confier, se confier toujours, telle est la loi des grands actes qui déterminent parfois les grands événements. L’improvisation perpétuelle des moyens, des procédés, des expédients, des ressources, rien pas à pas, tout d’emblée, jamais le terrain sondé, toutes les chances acceptées en bloc, les mauvaises comme les bonnes, tout risqué à la fois de tous les côtés, l’heure, le lieu, l’occasion, les amis, la famille, la liberté, la fortune, la vie, c’est là le combat révolutionnaire.

Vers trois heures, soixante représentants environ étaient réunis rue des Moulins, n° 10, dans le grand salon, sur lequel s’ouvrait un petit cabinet où siégeait le comité de résistance.

C’était une journée de décembre très sombre, et la nuit semblait déjà presque venue. Hetzel entra. L’éditeur Hetzel, qu’on pourrait appeler aussi le poète Hetzel, est un esprit généreux et un grand courage, il a, on le sait,