Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/465

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sergents de ville se risquaient à jeter çà et là quelques mots. Un d’eux conta aux prisonniers que l’ex-préfet Carlier avait passé la nuit du 1er au 2 à la préfecture de police. – Quant à moi, disait-il, j’ai quitté la préfecture à minuit, mais je l’y ai vu jusqu’à cette heure-là, et je puis affirmer qu’à minuit il y était encore.

Ils gagnèrent Creil, puis Noyon. À Noyon on les fit déjeuner sans les laisser descendre ; un morceau sur le pouce et un verre de vin. Les commissaires de police ne leur adressaient pas la parole. Puis on referma les voitures, et ils sentirent qu’on les enlevait des trucs et qu’on les replaçait sur des roues. Des chevaux de poste arrivèrent, et les voitures partirent, mais au pas. Ils avaient maintenant pour escorte une compagnie de gendarmes mobiles à pied.

Il y avait dix heures qu’ils étaient en voiture cellulaire quand ils quittèrent Noyon. Cependant l’infanterie fit halte. Ils demandèrent à descendre un instant. – Nous y consentons, dit un des commissaires de police, mais pour une minute seulement et à condition que vous donnerez votre parole d’honneur de ne pas vous évader. – Nous ne donnons pas de parole d’honneur, répliquèrent les prisonniers. – Messieurs, reprit le commissaire, donnez-la-moi seulement pour une minute, le temps de boire un verre d’eau.

— Non, dit le général Lamoricière, mais le temps de faire le contraire. Et il ajouta : – À la santé de Louis Bonaparte ! – On les laissa descendre, toujours l’un après l’autre, et ils purent respirer un moment un peu d’air libre en plein champ, au bord de la route.

Puis le convoi se remit en marche.

Comme le jour baissait, ils aperçurent par leur hublot un bloc de hautes murailles, un peu dépassées par une grosse tour ronde. Un moment après, les voitures s’engagèrent sous une voûte basse, puis s’arrêtèrent au milieu d’une cour longue et carrée, entourée de grands murs et dominée par deux bâtiments dont l’un avait l’aspect d’une caserne et l’autre, grillé à toutes les fenêtres, l’aspect d’une prison. Les portières des voitures s’ouvrirent. Un officier qui portait les épaulettes de capitaine se tenait debout près du marchepied. Le général Changarnier descendit le premier.

— Où sommes-nous ? dit-il.

L’officier répondit : – Vous êtes à Ham.

Cet officier était le commandant du fort. Il avait été nommé à ce poste par le général Cavaignac.

Le trajet de Noyon à Ham avait duré trois heures et demie. Ils avaient passé treize heures en voiture dont dix dans le cachot roulant.

On les conduisit séparément à la prison, chacun dans la chambre qui lui