d'impunité pour quelque crime que ce fût, à moins que le délinquant n’eût commis le crime neuf fois. Le factionnaire de la rue Richelieu a encore huit citoyens à tuer avant d’être traduit devant un conseil de guerre. Il fait bon d’être soldat, mais il ne fait pas bon d’être citoyen. En même temps, cette malheureuse armée, on la déshonore. Le 3 décembre, on décore les commissaires qui ont arrêté ses représentants et ses généraux ; il est vrai qu’elle-même a reçu deux louis par homme. O honte de tous les côtés ! l’argent aux soldats et la croix aux mouchards !
Jésuitisme et caporalisme, c’est là ce régime tout entier. Tout l’expédient politique de M. Bonaparte se compose de deux hypocrisies, hypocrisie soldatesque tournée vers l’armée, hypocrisie catholique tournée vers le clergé. Quand ce n’est pas Fracasse, c’est Basile. Quelquefois c’est les deux ensemble. De cette façon il parvient à ravir d’aise en même temps Montalembert, qui ne croit pas à la France, et Saint-Arnaud, qui ne croit pas en Dieu.
Le dictateur sent-il l’encens ? sent-il le tabac ? cherchez. Il sent le tabac et l’encens. O France ! quel gouvernement ! Les éperons passent sous la soutane. Le coup d’État va à la messe, rosse les pékins, lit son bréviaire, embrasse Catin, dit son chapelet, vide les pots et fait ses pâques. Le coup d’État affirme, ce qui est douteux, que nous sommes revenus à l’époque des jacqueries ; ce qui est certain, c’est qu’il nous ramène au temps des croisades. César se croise pour le pape. Diex et volt. L’Élysée a la foi du templier, et la soif aussi.
Jouir et bien vivre, répétons-le, et manger le budget ; ne rien croire, tout exploiter ; compromettre à la fois deux choses saintes, l’honneur militaire et la foi religieuse ; tacher l’autel avec le sang et le drapeau avec le goupillon ; rendre le soldat ridicule et le prêtre un peu féroce ; mêler à cette grande escroquerie politique qu’il appelle son pouvoir l’Église et la nation, les consciences catholiques et les consciences patriotes, voilà le procédé de Bonaparte-le-Petit.
Tous ses actes, depuis les plus énormes jusqu’aux plus puérils, depuis ce qui est hideux jusqu’à ce qui est risible, sont empreints de ce double jeu. Par exemple les solennités nationales l’ennuient. 24 février, 4 mai ; il y a là des souvenirs gênants ou dangereux qui reviennent opiniâtrement à jour fixe. Un anniversaire est un importun. Supprimons les anniversaires. Soit. Ne gardons qu’une fête, la nôtre. A merveille. Mais avec une fête, une seule, comment satisfaire deux partis ? le parti soldat, et le parti prêtre ? Le parti soldat est voltairien. Où Canrobert sourira, Riancey fera la grimace. Comment faire ? vous allez voir. Les grands escamoteurs ne sont pas embarrassés pour si peu. Le Moniteur déclare un beau matin qu’il n’y aura plus désormais qu’une fête nationale, le 15 août. Sur ce, commentaire semi-officiel ; les deux masques