Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/92

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des victimes aux proscripteurs. Dans ces deux maisons, rien, aucune nouvelle. Personne n’y était venu de la part des associations.

— Allons au troisième endroit, me dit le formier ; et il m’expliqua qu’ils s’étaient donné entre eux trois lieux de rendez-vous successifs, en cas, pour être toujours sûrs de se rencontrer si par aventure la police découvrait le premier et même le second rendez-vous, précaution que nous prenions de notre côté le plus possible pour nos réunions de la gauche et du comité. Nous étions dans le quartier des Halles. On s’était battu là toute la journée. Il n’y avait plus de réverbères dans les rues. Nous nous arrêtions de temps en temps et nous écoutions, afin de ne pas donner de la tête dans une patrouille. Nous enjambâmes une palissade de planches presque entièrement détruite et dont on avait probablement fait des barricades, et nous traversâmes les vastes démolitions qui encombraient, à cette époque, le bas des rues Montmartre et Montorgueil. Sur la pointe des hauts pignons démantelés on voyait trembler une clarté rougeâtre ; sans doute les reflets des feux de bivouac de la troupe campée aux halles et près de Saint-Eustache. Ce reflet nous éclairait. Le formier pourtant faillit tomber dans un trou profond qui n’était autre chose que la cave d’une maison démolie. En sortant de ces terrains couverts de ruines parmi lesquels on apercevait çà et là quelques arbres, restes d’anciens jardins disparus, nous atteignîmes des rues étroites, tortueuses, complètement obscures, où il était impossible de se reconnaître. Cependant le formier y marchait aussi à l’aise qu’en plein jour et comme quelqu’un qui va droit à son but. Une fois il se retourna et me dit :

— Tout le quartier est barricadé, et si nos amis descendent, comme je l’espère, je vous réponds qu’on y tiendra longtemps.

Tout à coup il s’arrêta : – En voici une, dit-il. Nous avions en effet devant nous, à sept ou huit pas, une barricade, toute en pavés, ne dépassant pas la hauteur d’homme et qui apparaissait dans l’ombre comme une sorte de mur en décombres. Une gorge étroite était pratiquée à l’une de ses extrémités. Nous la franchîmes. Il n’y avait personne derrière la barricade.

— On s’est déjà battu ici tantôt, me dit le formier à voix basse ; et il ajouta après un silence : – Nous approchons.

Le dépavage avait fait des trous qu’il fallait éviter. Nous enjambions et quelquefois nous sautions de pavé en pavé. Si profonde que soit l’obscurité, il y flotte toujours je ne sais quelle lueur ; tout en allant devant nous, nous aperçûmes à terre, près du trottoir, quelque chose qui ressemblait à une forme allongée. – Diable ! murmura mon guide, nous allions marcher là-dessus. Il tira une petite allumette-bougie de sa poche et la frotta sur sa manche, l’étincelle