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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/45

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semble que l’on s’avise de tout et où les récureurs de peuples en sont aux expédients.

Je songeais, dis-je, en voyant cette émancipation graduelle du sexe féminin, à ce qu’il pourrait arriver s’il prenait tout à coup fantaisie à quelque forte tête de jeter dans la balance politique cette moitié du genre humain, qui jusqu’ici s’est contentée de régner au coin du feu et ailleurs. Et puis les femmes ne peuvent-elles pas se lasser de suivre sans cesse la destinée des hommes ? Gouvernons-nous assez bien pour leur ôter l’espérance de gouverner mieux ? Aiment-elles assez peu la domination pour que nous puissions raisonnablement espérer qu’elles n’en aient jamais l’envie ? En vérité, plus je médite et plus je vois que nous sommes sur un abîme. Il est vrai que nous avons pour nous les canons et les bayonnettes, et que les femmes nous semblent sans grands moyens de révolte. Cela vous rassure, et moi, c’est ce qui m’épouvante.

On connaît cette inscription terrible placée par Fonseca sur la route de Torre del Greco : Posteri, posteri, vestra res agitur ! Torre del Greco n’est plus ; la pierre prophétique est encore debout.

C’est ainsi que je trace ces lignes, dans l’espoir qu’elles seront lues, sinon de mon siècle, du moins de la postérité. Il est bon que, lorsque les malheurs que je prévois seront arrivés, nos neveux sachent du moins que, dans cette Troie nouvelle, il existait une Cassandre, cachée dans un grenier, rue Mézières, no 10. Et s’il fallait, après tout, que je dusse voir de mes yeux les hommes devenus esclaves et l’univers tombé en quenouille, je pourrais du moins me faire honneur de ma sagacité ; et, qui sait ? je ne serais peut-être pas le premier honnête homme qui se sera consolé d’un malheur public en songeant qu’il l’avait prédit.


II


La politique, disait Charles XII, c’est mon épée. C’est l’art de tromper, pensait Machiavel. Selon Mme de M..., ce serait le moyen de gouverner les hommes par la prudence et la vertu. La première définition est d’un fou, la seconde d’un méchant, celle de Mme de M... est la seule qui soit d’un honnête homme. C’est dommage qu’elle soit si vieille et que l’application en ait été si rare.

Après avoir établi cette définition, Mme de M... expose l’origine des sociétés. Jean-Jacques les fait commencer par un planteur de pieux, et Vitruve par un grand vent, probablement parce que le système de la famille était trop simple. Avec ce bon sens de la femme, supérieur au génie des philosophes, Mme de M... se contente d’en chercher le principe dans la nature de