En 1676, Corneille, l’homme que les siècles n’oublieront pas, était oublié de ses contemporains, lorsque Louis XIV fit représenter, à Versailles, plusieurs de ses tragédies. Ce souvenir du roi excita la reconnaissance du grand homme, la veine de Corneille se ranima, et le dernier cri de joie du vieillard fut peut-être un des plus beaux chants du poëte.
Est-il vrai, grand monarque, et puis-je me vanter
Que tu prennes plaisir à me ressusciter ?
Qu’au bout de quarante ans, Cinna, Pompée, Horace,
Reviennent à la mode et retrouvent leur place,
Et que l’heureux brillant de mes jeunes rivaux
N’ôte point leur vieux lustre à mes premiers travaux ?
Tel Sophocle à cent ans charmait encore Athènes,
Tel bouillonnait encor son vieux sang dans ses veines,
Diraient-ils à l’envi, lorsque Œdipe aux abois
De ses juges pour lui gagna toutes les voix.
Je n’irai pas si loin, et, si mes quinze lustres
Font encor quelque peine aux modernes illustres,
S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner,
Je n’aurai pas longtemps à les importuner.
Quoi que je m’en promette, ils n’en ont rien à craindre.
C’est le dernier éclat d’un feu prêt à s’éteindre ;
Au moment d’expirer il tâche d’éblouir,
Et ne frappe les yeux que pour s’évanouir.
Ces vers m’ont toujours profondément ému. Corneille, aigri par l’envie, rebuté par l’indifférence, y laisse entrevoir toute la fière mélancolie de sa grande âme. Il sentait sa force, et il n’en était que plus amer pour lui de se voir méconnu. Ce mâle génie avait reçu à un haut degré de la nature la conscience de lui-même. Qu’on juge cependant à quel point les attaques réitérées de ses Zoïles durent influer sur ses idées pour l’amener à dire avec une sorte de conviction :
Sed neque Godæis accedat musa tropæis,
Nec Capellanum fas mihi velle sequi[1]
De pareils vers, écrits sérieusement par Corneille, sont une bien sanglante épigramme contre son siècle.
- ↑ .Nous traduirons ainsi, sans chercher à rendre les pompeuses expressions d’humilité du grand Corneille :
Il ne m’est pas donné, sur le double coteau,
De suivre Chapelain et d’atteindre Godeau.(Note du Conservateur littéraire.)