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ODES ET BALLADES.


ODE DIX-NEUVIÈME.

LE VOYAGE.


… Je veux que mon retour
Te paraisse bien long. Je veux que nuit et jour
Tu m’aimes. — Nuit et jour, hélas ! je me tourmente ! —
Présente au milieu d’eux, sois seule, sois absente.
Dors en pensant à moi, rêve-moi près de toi,
Ne vois que moi sans cesse, et sois toute avec moi !

André Chénier.


I

Le cheval fait sonner son harnois qu’il secoue,
Et l’éclair du pavé va jaillir sous la roue ;
Il faut partir, adieu ! De ton cœur inquiet
Chasse la crainte amère ; adieu ! point de faiblesse !
Mais quoi ! le char s’ébranle et m’emporte, et te laisse…
Hélas ! j’ai cru qu’il t’oubliait !

Oh ! suis-le bien longtemps d’une oreille attentive !
Ne t’en va pas avant d’avoir, triste et pensive,
Écouté des coursiers s’évanouir le bruit !
L’un à l’autre déjà l’espace nous dérobe ;
Je ne vois plus de loin flotter ta blanche robe,
Et toi, tu n’entends plus rouler le char qui fuit !…

Quoi ! plus même un vain bruit ! plus même une vaine ombre !
L’absence a sur mon âme étendu sa nuit sombre ;
C’en est fait, chaque pas m’y plonge plus avant ;
Et dans cet autre enfer, plein de douleurs amères,