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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/542

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LES RAYONS ET LES OMBRES.

scaramouche. Nul ne se dérobe dans ce monde au ciel bleu, aux arbres verts, à la nuit sombre, au bruit du vent, au chant des oiseaux. Aucune créature ne peut s’abstraire de la création.

De son côté, la rêverie a des minutes d’action. L’idylle à Gallus est pathétique comme un cinquième acte ; le quatrième livre de l’Énéide est une tragédie ; il y a une ode d’Horace qui est devenue une comédie de Molière. Donec gratus eram tibi, c’est le Dépit amoureux.

Tout se tient, tout est complet, tout s’accouple et se féconde par l’accouplement. La société se meut dans la nature ; la nature enveloppe la société.

L’un des deux yeux du poëte est pour l’humanité, l’autre pour la nature. Le premier de ces yeux s’appelle l’observation, le second s’appelle l’imagination.

De ce double regard toujours fixé sur son double objet naît au fond du cerveau du poëte cette inspiration une et multiple, simple et complexe, qu’on nomme le génie.

Déclarons-le bien vite et dès à présent, dans tout ce qu’on vient de lire comme dans tout ce qu’on va lire encore, l’auteur de ce livre, et cela devrait aller sans dire, est aussi loin de songer à lui-même qu’aucun de ses lecteurs. L’humble et grave artiste doit avoir le droit d’expliquer l’art, tête nue et l’œil baissé. Si obscur et si insuffisant qu’il soit, on ne peut lui interdire, en présence des pures et éternelles conditions de la gloire, cette contemplation qui est sa vie. L’homme respire, l’artiste aspire. Et d’ailleurs quel est le pauvre pâtre, enivré de fleurs et ébloui d’étoiles, qui ne s’est écrié, au moins une fois en sa vie, en laissant tremper ses pieds nus dans le ruisseau où boivent ses brebis : — Je voudrais être empereur !

Maintenant, continuons.

Des choses immortelles ont été faites de nos jours par de grands et nobles poètes personnellement et directement mêlés