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XX AU STATUAIRE DAVID

I

David ! comme un grand roi qui partage à des princes Les états paternels provinces par provinces, Dieu donne à chaque artiste un empire divers ; Au poète, le souffle épars dans l’univers, La vie et la pensée et les foudres tonnantes, Et le splendide essaim des strophes frissonnantes Volant de l’homme à l’ange et du monstre à la fleur ; La forme au statuaire ; au peintre la couleur ; Au doux musicien, rêveur limpide et sombre, Le monde obscur des sons qui murmure dans l’ombre.

La forme au statuaire ! — Oui, mais, tu le sais bien, La forme, ô grand sculpteur, c’est tout et ce n’est rien. Ce n’est rien sans l’esprit, c’est tout avec l’idée ! Il faut que, sous le ciel, de soleil inondée, Debout sous les flambeaux d’un grand temple doré, Ou seule avec la nuit dans un antre sacré, Au fond des bois dormants comme au seuil d’un théâtre, La figure de pierre, ou de cuivre, ou d’albâtre, Porte divinement sur son front calme et fier La beauté, ce rayon, la gloire, cet éclair ! Il faut qu’un souffle ardent lui gonfle la narine, Que la force puissante emplisse sa poitrine, Que la grâce en riant ait arrondi ses doigts, Que sa bouche muette ait pourtant une voix ! Il faut qu’elle soit grave et pour les mains glacée, Mais pour les yeux vivante, et, devant la pensée, Devant le pur regard de l’âme et du ciel bleu,