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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/317

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L’ÂNE.

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COLÈRE DE LA BÊTE.


I


Un âne descendait au galop la science.
— Quel est ton nom ? dit Kant. — Mon nom est Patience,
Dit l’âne. Oui, c’est mon nom, et je l’ai mérité,
Car je viens de ce faîte où l’homme est seul monté
Et qu’il nomme savoir calcul, raison, doctrine.
Kant, porter le licou sanglé sur la poitrine ;
Avoir dès son bas âge, âpre et morne combat,
L’os de l’échine usé par la boucle du bât ;
Subir, de l’aube au soir, la secousse électrique
Du nerf de bœuf parfois relayé par la trique ;
Être, tremblant de froid ou de chaud étouffant,
Happé par le mâtin, lapidé par l’enfant,
Tomber de l’un à l’autre, et traverser l’églogue
De la pierre alternant avec le boule-dogue ;
Vivre, d’un chargement effroyable bossu,
Les os trouant la peau, maigre, ayant tant reçu,
Le long de chaque côte et de chaque vertèbre,
De coups de fouet que d’âne on est devenu zèbre,
Tout cela, qui te semble assez rude, n’est rien,
Et le fouet est à peine un souffle éolien,