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L’ÂNE.

II

COUP D’ŒIL GÉNÉRAL.


L’orateur, fût-il âne, essoufflé se repose ;
Patience reprit, ayant fait une pause :

Rhéteurs, quel mot divin faites-vous épeler ?
Dites, qu’enseignez-vous ? que venez-vous parler
D’idéal, de réel, et nous rompre la tête ?
Votre réel à vous, c’est la chimère bête,
Ou c’est la loi féroce et dure ; ici Baal,
Là Dracon ; et l’erreur partout. Votre idéal
C’est quelque faux chef-d’œuvre ou quelque vertu fausse,
C’est un roi qu’en rampant la flatterie exhausse,
Ou c’est un livre pâle ayant pour qualité
De s’ouvrir sans blesser les yeux de sa clarté ;
Honneur au grand Louis ! Gloire au tendre Racine !
Ah ! l’idéal m’endort, le réel m’assassine,
Grâce ! au diable ! assez bu ! Je prends congé. Bonsoir.

Quelle solution donne votre savoir
Sur ce qui nous étonne ou ce qui nous effraie ?
Avez-vous seulement un peu de lueur vraie ?
Non. Rien. Sur l’inconnu, l’absolu, le divin,
Sur l’incompréhensible et l’insondable, en vain
L’illuminé contemple et le myope scrute,
Qu’est-ce que vous savez de plus que moi la brute ?

Hélas ! je sens moi-même, étant votre écolier,
Hommes, ma tête au poids des questions plier ;
J’ai sur mon cristallin naïf la taie humaine.

Le prêtre en sait-il plus que le catéchumène ?