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L’ÂNE.

Il reprit : — Parmi vous qu’un novateur s’obstine,
Qu’il baise mal le bas du dos de la routine,
Qu’il ne veuille pas boire où de tout temps ont bu
La coutume ridée et l’usage barbu,
Que son âme ose, horreur ! n’être pas prisonnière,
Que, se sentant une aile, il méprise l’ornière,
Vous le damnez.

Vous le damnez. Jadis, un songeur l’entendait,
Les bêtes ont crié : Haro sur le baudet !
J’entends l’homme crier : Haro sur le génie !
Malheur à qui s’en va dans la sombre Uranie !
Dans la matière, encor, passe ; on peut innover ;
Il est permis d’aller, de chercher, de trouver
Quelque crapaud géant, quelque gros perce-oreille,
Quelque étrange fourmi, pas tout à fait pareille
À celles dont Linné a contemplé les œufs,
Ou des squelettes frais et des fossiles neufs,
Des mammouths troublant l’ordre, et dans les grès, les schistes
Et les gneiss, des fémurs d’éléphants anarchistes ;
La routine consent à ce qu’un cachalot,
Inédit, lève un peu trop son grouin hors du flot ;
On peut faire, sans trop indigner les bélîtres,
Des révolutions dans les écailles d’huîtres ;
L’immortelle ânerie, et j’en suis à regret,
Admet qu’on peut trouver un gui dans la forêt
Ou pêcher un mollusque avec un coup de sonde ;
Quand on voit revenir après leur tour du monde
Le capitaine Cook, Magellan ou lord Ross
Rapportant des tapirs ou des rhinocéros,
Si bien que la science à leur aide complète
La confrontation de l’homme avec la bête,
Quelque raie éclairant l’énigme du dauphin,
Des os de mastodonte illuminant enfin
La grande question de l’ours, ou des carcasses
D’épiornis faisant progresser les bécasses,