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COLÈRE DE LA BÊTE.

Pompée, Othon, Sylla, quels fiers centurions !
Quels soldats ! quels géants ! et sur tes horions
Ta main inepte écrit : Victoires et Conquêtes.
Nous n’en sommes pas là, nous autres ; pas si bêtes !
Et quant à moi, morbleu ! j’aurais bien du chagrin,
Étant Aliboron, d’admirer Isengrin.

Les hommes, — c’est ainsi, Dieu, que vous les créâtes, —
Sont les seules souris devant le chat béates,
Heureuses de servir au matou de hochet ;
L’homme est le seul mulot content de l’émouchet,
Le seul mouton bêlant des hymnes aux colères
Du tigre, et du lion contemplant les molaires,
Le seul poisson qui danse et sonne du grelot
Devant les triples rangs de dents du cachalot,
Le seul moineau, la seule alouette espiègle
Qui chante Te Deum dans la griffe de l’aigle.

Oui, c’est toujours, hélas, du côté des tueurs
Que ton enthousiasme a le plus de lueurs,
Et, stupide, tu dis : La bataille est gagnée !
Quand un boucher t’a fait une large saignée.
Mais voulusses-tu même, homme, te révolter,
Quelle conviction as-tu pour résister ?
Une religion, voilà le grand remède ;
L’âme est le point d’appui solide d’Archimède ;
La barricade est haute et fière, et le beffroi
Est fort, quand les pavés et les cloches ont foi ;
Pour vaincre, il fait avoir aux reins une croyance ;
Le glaive flamboyant sort de la conscience ;
Toi, jamais ton regard convaincu ne brilla ;
C’est vrai, quand ta servante et tes enfants sont là,
Ou ta femme en un coin raccommodant tes nippes,
Tu parles d’or, on voit tes vertus, tes principes,
Et tes perfections que rien ne fait broncher,
Dans tes graves discours à la file marcher
Comme aux processions on voit passer des châsses ;