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JE VIS ALDEBARAN DANS LES CIEUX…


Une apparition d’éternel tournoiement,
Tour à tour perle, onyx, saphir et diamant.
Un effrayant éclair sur toi sans cesse rôde
Et te fait de rubis devenir émeraude,
Et jadis tu troublais le mage libyen,
Monde sur qui se tord un arc-en-ciel ! Eh bien,
Tu n’es pas seul à luire sans fin, sans voile !
L’âme est comme toi, sphère, une quadruple étoile.
Ton prodige est en nous. Astre, nous te l’offrons.
L’antique poésie avec ses quatre fronts,
Orphée, Homère, Eschyle et Juvénal, t’égale.
Quand le soir tombe, à l’heure où chante la cigale,
Ou quand l’aube sourit aux oiseaux éperdus,
En tous lieux, sur l’Arno, sur l’Avon, sur l’Indus,
La muse, qui connaît nos maux, en fait la somme,
Et qui tient cette lampe en main, l’esprit de l’homme,
La muse est là, toujours, partout, et n’est jamais,
Même dans l’hiver triste, absente des sommets.
Tour à tour Calliope, Érato, Polymnie
Et Némésis, elle est l’éternelle harmonie
Qui, sauvage et joyeuse, allant de l’antre au nid,
Commencée en idylle, en tonnerre finit.
Astre ! Elle a son amour, son rire, sa colère,
Et son deuil, comme toi ton tourbillon stellaire ;
Rayon, verbe, elle est douce aux hommes asservis,
Donne aux passants, tyrans ou peuples, des avis,
Chante pour les bons cœurs, luit pour les cœurs funèbres,
Parle, et sur la clarté renseigne les ténèbres ;
Elle est l’humanité debout, changée en voix.
Elle ôte les Césars de dessus les pavois,
Les découronne, et met à leur place l’idée.
Elle est France, Italie, Hellénie et Chaldée.
Satire, elle flétrit ; drame, elle aime ; chanson
Ou psaume, elle a du sort le lugubre frisson ;
Épopée, elle peut montrer aux rois tragiques
La tyrannie aveugle et toutes ses logiques,
L’effrayante moisson des noirs semeurs du mal,