Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/380

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Actions de la vie, amours, justice, droit,
Crime, vengeance, orgueil, qu’un simulacre traîne !
Responsabilité de la figure humaine
Prise par le granit ou le bronze fatal !
Oh ! dans l’égarement d’un orage mental,
Dans quelque âpre chaos de villes abattues,
Qui donc a vu rôder lentement des statues ?
Ces êtres inouïs, impossibles, affreux,
Vont, ayant la stupeur des ténèbres sur eux ;
Et l’alarme est dans l’ombre, et le rêve lui-même,
Qui distingue à minuit dans l’immensité blême
Tout un monde terrible à travers l’œil fermé,
Le rêve, aux habitants de l’ombre accoutumé,
S’épouvante de voir cette lugubre espèce
De fantômes entrer dans sa nuée épaisse,
Et frémit, car le pas de ces noirs arrivants
N’est ni le pas des morts ni le pas des vivants.

Quand l’homme s’avança, les profondeurs s’émurent.
Et le dessous des ponts où les courants murmurent,
Les cimetières noirs, sentant venir un roi,
Les parvis dominés d’un porche ou d’un beffroi
Où passaient autrefois les carrosses des sacres,
Les charniers, les égouts où le sang des massacres
S’extravase et croupit et fait de tristes lacs,
Les bornes où, pensifs, montent les Ravaillacs,
Les puits mystérieux des vieilles tours muettes,
Les lourds carcans, pendus au clou des oubliettes,
Les lointains ponts-levis des forts et des fossés,
Les pavés où, l’hiver, la pluie à flots pressés
S’abat, tombant du ciel comme des trous d’un crible,
Se mirent à trembler sous le marcheur terrible.

Et comme il est certain ― l’œil du tombeau le voit ―
Que derrière tout roi qui passe, quel qu’il soit,
Toute la royauté se dresse, noir fantôme,
L’ancien Paris, vibrant de la masure au dôme,