Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/412

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Cherchaient le Bien-Aimé triomphal et joyeux,
Apparaissaient, hideux et debout dans le vide,
Deux poteaux noirs portant un triangle livide ;
Le triangle pendait, nu, dans la profondeur ;
Plus bas on distinguait une vague rondeur,
Espèce de lucarne ouverte sur de l’ombre ;
Deux nuages traçaient au fond des cieux ce nombre :
— Quatrevingt-treize — chiffre on ne sait d’où venu.

C’était on ne sait quel échafaud inconnu.

Lugubre, il se dressait ; derrière sa charpente
De quelque étrange abîme on devinait la pente ;
Les arbres regardaient l’horrible vision ;
L’ouragan retenait sa respiration
Devant la silhouette informe et ténébreuse ;
Et tout semblait hagard ; tant la machine affreuse,
Rouge comme un carnage et noire comme un deuil,
Debout entre l’énigme et l’homme, sur un seuil
Qui peut-être est le ciel, peut-être la géhenne,
Contenait de néant, d’épouvante et de haine !

Sous le blême triangle une échelle tremblait.
L’échafaud, immobile et monstrueux, semblait
Communiquer avec la tombe universelle.
Une pourpre, semblable à celle qui ruisselle
Et qui fume le long du mur des abattoirs,
Filtrait de telle sorte entre les pavés noirs
Qu’elle écrivait ce mot mystérieux : Justice.
On devinait que l’âpre et farouche bâtisse,
Calme, définitive, inexprimable à voir,
Avait été construite avec du désespoir,
Et sortait des douleurs, des pleurs et des décombres ;
Et que les deux poteaux, dans les carrefours sombres
Où l’homme marche triste, aveuglément conduit,
Avaient jadis marqué les routes de la nuit ;
On pouvait, dans la brume où l’infini commence,