Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XI.djvu/21

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ET NOT FACTA EST


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Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme.

Il n’avait pas encor pu saisir une cime, Ni lever une fois son tront de’mesuré. Il s’enfonçait dans l’ombre et la brume, effaré, Seul, et, derrière lui, dans les nuits éternelles. Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes.

11 tombait foudroyé’, morne, silencieux. Triste, la bouche ouverte et les pieds vers les cieux, L’horreur du gouffre empreinte à sa face livide. Il cria : — Mort ! — les poings tendus vers l’ombre vide. Ce mot plus tard fut homme et s’appela Caïn. Il tombait. Tout à coup un roc heurta sa main ; Il l’étreignit, ainsi qu’un mort étreint sa tombe, Et s’arrêta.

Quelqu’un, d’en haut, lui cria : — Tombe ! Les soleils s’éteindront autour de toi, maudit ! — Et la voix dans l’horreur immense se perdit. Et, pâle, il regarda vers l’éternelle aurore. Les soleils étaient loin, mais ils brillaient encore. Satan dressa la tête et dit, levant ses bras : — Tu mens ! — Ce mot plus tard fut l’âme de Judas

Pareil aux dieux d’airain debout sur leurs pilastres. Il attendit mille ans, l'œil fixé sur les astres.