Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/135

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J'ai toujours redouté d'aborder une femme.
Risquer le coeur est grave autant que risquer l'âme.
La femme est le dessus de ce gouffre, l'amour.
Quel piège! et comment dire aux déesses: bonjour?
On salue, et la belle observe; on est nu-tête;
Rêve-t-elle? on a peur. Rit-elle? on a l'air bête.
On est Platon de peur de sembler Rabelais.
Donc je vous adorais, madame, et je tremblais.
C'est convenable, mais c'est inepte. Et, timide,
Soucieux de Circé, préoccupé d'Armide,
J'étais ambitieux, immobile et prudent,
Et j'avais l'air d'un arbre imbécile attendant
 
Qu'une étoile s'envole et vienne sur ses branches.
D'autres que moi pourtant, fats aux allures franches,
Hardis, vous saluaient, et, pleins d'enivrements,
Entraient en pourparlers avec vos yeux charmants,
Et leurs fronts s'inclinaient devant votre sourire;
J'étais comme un niais qui se laisse proscrire;
Si bien qu'un jour, tant pis, mon coeur se résolut,
Je me dis: il est temps de faire mon salut,
Et je vous abordai, chapeau bas...