Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/125

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cendu, avait pris lui-même un air mystérieux et répondait à toutes les questions : Je ne sais pas, d’un air qui voulait dire : Je sais tout, mais vous ne saurez rien. Les grands laquais étaient plus muets que des poissons, et plus sombres que les bouches d’une mine. Le syndic s’était d’abord renfermé dans sa tour, attendant dans sa dignité la première visite de l’étranger ; mais bientôt les habitants l’avaient vu avec surprise se présenter deux fois inutilement à la Mouette d’or, et le soir épier un salut du voyageur appuyé sur sa fenêtre entr’ouverte. Les commères inféraient de là que le personnage avait fait connaître son haut rang au seigneur syndic. Elles se trompaient. Un messager expédié par l’étranger s’était présenté chez le syndic pour y faire viser son droit de passe, et le syndic avait remarqué sur le grand cachet de cire verte du paquet qu’il portait deux mains de justice croisées soutenant un manteau d’hermine surmonté d’une couronne de comte imposée à un écusson autour duquel pendaient les colliers de l’Éléphant et de Dannebrog. Cette observation avait suffi au syndic, qui désirait vivement obtenir de la grande chancellerie le haut syndicat du Drontheimhus. Mais il avait perdu ses avances, car le noble inconnu ne voulait voir personne.

Le second jour de l’arrivée de ce voyageur à Lœvig tirait à sa fin, lorsque l’hôte entra dans sa chambre en disant, après une inclination profonde, que le messager attendu de sa courtoisie venait d’arriver.

— Eh bien, dit sa courtoisie, qu’il monte.

Un instant après, le messager entra, ferma soigneusement la porte, puis saluant jusqu’à terre l’étranger qui s’était à demi tourné vers lui, attendit dans un silence respectueux qu’il lui adressât la parole.

— Je vous espérais ce matin, dit celui-ci ; qui donc vous a retenu ?

— Les intérêts de votre grâce, seigneur comte ; ai-je un autre souci ?

— Que fait Elphège ? que fait Frédéric ?

— Ils sont bien portants.

— Bien ! bien ! interrompit le maître ; n’avez-vous rien de plus intéressant à m’apprendre ? Quoi de nouveau à Drontheim ?

— Rien, sinon que le baron de Thorvick y est arrivé hier.

— Oui, je sais qu’il a voulu consulter ce vieux mecklembourgeois Levin sur le mariage projeté. Savez-vous quel a été le résultat de son entrevue avec le gouverneur ?

— Aujourd’hui à midi, heure de mon départ, il n’avait point encore vu le général.

— Comment ! arrivé de la veille ! Vous m’étonnez, Musdœmon. Et avait-il vu la comtesse ?

— Encore moins, seigneur.

— C’est donc vous qui l’avez vu ?