Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étouffer la rébellion, nouveau et insigne service aux yeux du roi, et pour le délivrer de ce Schumacker si inquiétant pour son trône. Voilà sur quelles indestructibles bases s’élèvera l’édifice que couronnera le mariage de la noble dame Ulrique avec le baron de Thorvick.

L’entretien intime de deux scélérats n’est jamais long, parce que ce qu’il y a d’homme en eux s’effraie bien vite de ce qu’il y a d’infernal. Quand deux âmes perverses s’étalent réciproquement leur impudique nudité, leurs mutuelles laideurs les révoltent. Le crime fait horreur au crime même ; et deux méchants qui conversent, avec tout le cynisme du tête-à-tête, de leurs passions, de leurs plaisirs, de leurs intérêts, se sont l’un à l’autre comme un effroyable miroir. Leur propre bassesse les humilie dans autrui, leur propre orgueil les confond, leur propre néant les épouvante ; et ils ne peuvent se fuir, se désavouer eux-mêmes dans leur semblable ; car chaque rapport odieux, chaque affreuse coïncidence, chaque hideuse parité trouve en eux une voix toujours infatigable qui la dénonce à leur oreille sans cesse fatiguée. Quelque secret que soit leur entretien, il a toujours deux insupportables témoins : Dieu, qu’ils ne voient pas ; et la conscience, qu’ils sentent.

Les conversations confidentielles de Musdœmon étaient d’autant plus fatigantes pour le comte qu’il mettait toujours sans ménagements son maître de moitié dans les crimes entrepris ou à entreprendre. Bien des courtisans croient adroit de sauver aux grands l’apparence des mauvaises actions ; ils prennent sur eux la responsabilité du mal, et laissent même souvent à la pudeur du patron la consolation d’avoir semblé résister à un crime profitable. Musdœmon, par un raffinement d’adresse, suivait la marche contraire. Il voulait paraître conseiller rarement et toujours obéir. Il connaissait l’âme de son maître comme son maître connaissait la sienne ; aussi ne se compromettait-il qu’en compromettant le comte. La tête que le comte aurait le plus volontiers fait tomber, après celle de Schumacker, c’était celle de Musdœmon ; il le savait comme si son maître le lui eût dit, et son maître savait qu’il le savait.

Le comte avait appris ce qu’il voulait apprendre. Il était satisfait. Il ne lui restait plus qu’à congédier Musdœmon.

— Musdœmon, dit-il avec un sourire gracieux, vous êtes le plus fidèle et le plus zélé de mes serviteurs. Tout va bien et je le dois à vos soins. Je vous fais secrétaire intime de la grande chancellerie.

Musdœmon s’inclina profondément.

— Ce n’est pas tout, poursuivit le comte, je vais demander pour vous une troisième fois l’ordre de Dannebrog ; mais je crains toujours que votre naissance, votre indigne parenté…