Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les trois secrétaires pressèrent vivement Gustave, qui se fit un peu prier, quoique son désir de leur raconter ce qu’il avait vu ne fût pas intérieurement moins vif que leur envie de le savoir.

— Allons, Wapherney, vous pourrez transmettre mon récit à votre jeune sœur, qui aime tant les choses effrayantes. J’ai été entraîné dans le Spladgest par la foule qui s’y pressait. On vient d’y apporter les cadavres de trois soldats du régiment de Munckholm et de deux archers, trouvés hier à quatre lieues dans les gorges, au fond du précipice de Cascadthymore. Quelques spectateurs assurent que ces malheureux composaient l’escouade envoyée, il y a trois jours, dans la direction de Skongen, à la recherche du concierge fugitif du Spladgest. Si cela est vrai, on ne peut concevoir comment tant d’hommes armés ont pu être assassinés. La mutilation des corps paraît prouver qu’ils ont été précipités du haut des rochers. Cela fait dresser les cheveux.

— Quoi ! Gustave, vous les avez vus ? demanda vivement Wapherney.

— Je les ai encore devant les yeux.

— Et présume-t-on quels sont les auteurs de cet attentat ?

— Quelques personnes pensaient que ce pouvait être une bande de mineurs, et assuraient qu’on avait entendu hier, dans les montagnes, les sons de la corne avec laquelle ils s’appellent.

— En vérité ! dit Arthur.

— Oui ; mais un vieux paysan a détruit cette conjecture en faisant observer qu’il n’y avait ni mines ni mineurs du côté de Cascadthymore.

— Et qui serait-ce donc ?

— On ne sait ; si les corps n’étaient entiers, on pourrait croire que ce sont quelques bêtes féroces, car ils portent sur leurs membres de longues et profondes égratignures. Il en est de même du cadavre d’un vieillard à barbe blanche qu’on a apporté au Spladgest avant-hier matin, à la suite de cet affreux orage qui vous a empêché, mon cher Léandre Wapherney, d’aller visiter, sur l’autre rive du golfe, votre Héro du coteau de Larsynn.

— Bien ! bien ! Gustave, dit Wapherney en riant ; mais quel est ce vieillard ?

— À sa haute taille, à sa longue barbe blanche, à un chapelet qu’il tient encore fortement serré entre ses mains, quoiqu’il ait été trouvé du reste absolument dépouillé, on a reconnu, dit-on, un certain ermite des environs ; je crois qu’on l’appelle l’ermite de Lynrass. Il est évident que le pauvre homme a été également assassiné ; mais dans quel but ? On n’égorge plus maintenant pour opinion religieuse, et le vieil ermite ne possédait au monde que sa robe de bure et la bienveillance publique.

— Et vous dites, reprit Richard, que ce corps est déchiré, ainsi que ceux des soldats, comme par les ongles d’une bête féroce ?