Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/175

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— Ah ! seigneur, sans vous je serais dix fois mort de peur en gravissant ces roches. — Il est vrai que, sans vous, je ne l’aurais pas tenté.

La lune, qui reparut, leur laissa voir l’entrée de la plus haute tour, au bas de laquelle ils étaient parvenus. Ils y pénétrèrent en soulevant un épais rideau de lierre, qui fit pleuvoir sur eux des lézards endormis et de vieux nids d’oiseaux funèbres. Le concierge ramassa deux cailloux qu’il choqua, en laissant tomber les étincelles sur un tas de feuilles mortes et de branches sèches recueillies par Ordener. En peu d’instants une flamme claire s’éleva, et, dissipant les ténèbres qui les entouraient, elle leur permit d’observer l’intérieur de la tour.

Il n’en restait plus que la muraille circulaire, qui était très épaisse et revêtue de lierre et de mousse. Les plafonds de ses quatre étages s’étaient successivement écroulés au rez-de-chaussée, où ils formaient un amas énorme de décombres. Un escalier étroit et sans rampe, rompu en plusieurs endroits, tournait en spirale sur la surface intérieure de la muraille, au sommet de laquelle il aboutissait. Aux premiers pétillements du feu, une nuée de chats-huants et d’orfraies s’envolèrent lourdement, avec des cris étonnés et lugubres, et de grandes chauves-souris vinrent par intervalles effleurer la flamme de leurs ailes couleur de cendre.

— Voici des hôtes qui ne nous reçoivent pas très gaiement, dit Ordener ; mais n’allez pas vous effrayer encore.

— Moi, seigneur, reprit Spiagudry, en s’asseyant près du feu, moi craindre un hibou ou une chauve-souris ! Je vivais avec des cadavres, et je ne craignais pas les vampires. Ah ! je ne redoute que les vivants ! Je ne suis pas brave, j’en conviens ; mais je ne suis pas superstitieux. — Tenez, si vous m’en croyez, seigneur, rions de ces dames aux ailes noires et aux chants rauques, et songeons à souper.

Ordener ne songeait qu’à Munckholm.

— J’ai bien là quelques provisions, dit Spiagudry en tirant son havre-sac de dessous son manteau ; mais, si votre appétit égale le mien, ce pain noir et ce fromage rance auront bientôt disparu. Je vois que nous serons obligés de rester encore fort loin des limites de la loi du roi français Philippe le Bel : Nemo audeat comedere præter duo fercula cum potagio. Il doit bien y avoir au sommet de cette tour des nids de mouettes ou de faisans ; mais comment y arriver par un escalier branlant qui ne pourrait tout au plus porter que des sylphes ?

— Cependant, reprit Ordener, il faudra bien qu’il me porte ; car je monterai certainement au faîte de cette tour.

— Quoi ! maître, pour avoir des nids de mouettes ? — Ne faites pas, de grâce, cette imprudence. Il ne faut pas se tuer pour mieux souper. Songez