Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/213

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On a appris dans les premiers chapitres de cet ouvrage qu’Ordener s’était de bonne heure accoutumé aux fatigues d’une vie errante et aventurière. Ayant déjà plusieurs fois parcouru le nord de la Norvège, il n’avait plus besoin de guide, maintenant qu’il savait où trouver le brigand. Il dirigea donc vers le nord-ouest son voyage solitaire, dans lequel il n’eut plus de Benignus Spiagudry pour lui dire combien de quartz ou de spath renfermait chaque colline, quelle tradition s’attachait à chaque masure, et si tel ou tel déchirement du sol provenait d’un courant du déluge ou de quelque ancienne commotion volcanique.

Il marcha un jour entier à travers ces montagnes qui, partant comme des côtes, de distance en distance, de la chaîne principale dont la Norvège est traversée dans sa longueur, s’étendent en s’abaissant graduellement jusqu’à la mer, où elles se plongent ; de sorte que tous les rivages de ce pays ne présentent qu’une succession de promontoires et de golfes, et tout l’intérieur des terres qu’une suite de montagnes et de vallées, disposition singulière du sol, qui a fait comparer la Norvège à la grande arête d’un poisson.

Ce n’était point une chose commode que de voyager dans ce pays. Tantôt il fallait suivre pour chemin le lit pierreux d’un torrent desséché, tantôt franchir sur des ponts tremblants de troncs d’arbres les chemins mêmes, que des torrents nés de la veille venaient de choisir pour lits.

Au reste, Ordener cheminait quelquefois des heures entières sans être averti de la présence de l’homme dans ces lieux incultes autrement que par l’apparition intermittente et alternative des ailes d’un moulin à vent au sommet d’une colline, ou par le bruit d’une forge lointaine, dont la fumée se courbait au gré de l’air comme un panache noir.

De loin en loin il rencontrait un paysan monté sur un petit cheval au poil gris, à la tête basse, moins sauvage encore que son maître, ou un marchand de pelleteries assis dans son traîneau attelé de deux rennes, derrière lequel était attachée une longue corde dont les nœuds nombreux, en bondissant sur les pierres de la route, étaient destinés à effrayer les loups.

Si alors Ordener demandait au marchand le chemin de la grotte de Walderhog : — Marchez toujours au nord-ouest, vous trouverez le village d’Hervalyn, vous franchirez la ravine de Dodlysax, et cette nuit vous pourrez atteindre Surb, qui n’est qu’à deux milles de Walderhog. — Ainsi répondait avec indifférence le commerçant nomade, instruit seulement des noms et de la position des lieux que son métier lui faisait parcourir.

Si Ordener adressait la même question au paysan, celui-ci, imbu profondément des traditions du pays et des contes du foyer, secouait plusieurs fois la tête et arrêtait sa monture grise en disant : — Walderhog ! la caverne