Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/219

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— Tranquillisez-vous, sœur, vous n’aurez plus à le craindre demain. Oui, c’est un ours en effet que j’ai aperçu à deux milles environ de Surb ; un ours blanc. Il paraissait emporter un homme, ou un animal plutôt. — Mais non, ce pouvait être un chevrier qu’il enlevait, car les chevriers se vêtissent de peaux de bêtes. — Au reste, l’éloignement ne m’a pas permis de distinguer. Ce qui m’a étonné, c’est qu’il portait sa proie sur son dos et non entre ses dents.

— Vraiment, frère ?

— Oui, et il fallait que l’animal fût mort, car il ne faisait aucun mouvement pour se défendre.

— Mais, demanda judicieusement le pêcheur, s’il était mort, comment était-il soutenu sur le dos de l’ours ?

— C’est ce que je n’ai pu comprendre. Au reste, il aura fait le dernier repas de l’ours. En entrant dans ce village je viens de prévenir six bons compagnons ; et demain, sœur Maase, je vous apporterai la plus belle fourrure blanche qui ait jamais couru sur les neiges d’une montagne.

— Prenez garde, frère, dit la femme, vous avez remarqué en effet de singulières choses. Cet ours est peut-être le diable.

— Êtes-vous folle ? interrompit le montagnard en riant ; le diable se changer en ours ! En chat, en singe, à la bonne heure, cela s’est vu ; mais en ours ! ah ! par saint Eldon l’exorciseur, vous feriez pitié à un enfant ou à une vieille femme avec vos superstitions !

La pauvre femme baissa la tête.

— Frère, vous étiez mon seigneur avant que mon vénéré mari jetât les yeux sur moi, agissez comme votre ange gardien vous inspirera d’agir.

— Mais, demanda le pêcheur au montagnard, de quel côté as-tu donc rencontré cet ours ?

— Dans la direction du Smiasen à Walderhog.

— Walderhog ! dit la femme avec un signe de croix.

— Walderhog ! répéta Ordener.

— Mais, mon frère, reprit le pêcheur, ce n’est pas toi, j’espère, qui te dirigeais vers cette grotte de Walderhog ?

— Moi ! Dieu m’en garde ! C’était l’ours.

— Est-ce que vous irez le chercher là demain ? interrompit Maase avec terreur.

— Non vraiment ; comment voulez-vous, mes amis, qu’un ours même ose prendre pour retraite une caverne où… ?

Il s’arrêta, et tous trois firent un signe de croix.

— Tu as raison, répondit le pêcheur, il y a un instinct qui avertit les bêtes de ces choses-là.