Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/279

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croissant dont le combat remplissait derrière eux les gorges de la montagne :

— Au nom du roi ! la grâce du roi est accordée à ceux des rebelles qui mettront bas les armes, et livreront leurs chefs à la souveraine justice de sa majesté !

Le parlementaire avait à peine prononcé ces paroles qu’un coup de feu partit d’un taillis voisin. L’officier frappé chancela ; il fit quelques pas en élevant sa bannière, et tomba en s’écriant : — Trahison !

Nul ne sut de quelle main venait le coup fatal.

— Trahison ! lâcheté ! répéta le bataillon des arquebusiers avec des frémissements de rage.

Et une effroyable salve de mousqueterie foudroya les montagnards.

— Trahison ! reprirent à leur tour les montagnards, furieux de voir leurs frères tomber à leurs côtés.

Et une décharge générale répondit à la bordée inattendue des soldats royaux.

— Sur eux ! camarades ! mort à ces lâches ! Mort ! crièrent les officiers des arquebusiers.

— Mort ! mort ! répétèrent les montagnards.

Et les combattants des deux partis s’élancèrent les sabres nus, et les deux colonnes se rencontrèrent presque sur le corps du malheureux officier, avec un horrible bruit d’armes et de clameurs.

Les rangs enfoncés se mêlèrent. Chefs rebelles, officiers royaux, soldats, montagnards, tous, pêle-mêle, se heurtèrent, se saisirent, s’étreignirent, comme deux troupeaux de tigres affamés qui se joignent dans un désert. Les longues piques, les bayonnettes, les pertuisanes étaient devenues inutiles ; les sabres et les haches brillaient seuls au-dessus des têtes ; et beaucoup de combattants, luttant corps à corps, ne pouvaient même plus employer d’autres armes que le poignard ou les dents.

Une égale fureur, une pareille indignation animait les montagnards et les arquebusiers ; le même cri trahison ! vengeance ! était vomi par toutes les bouches. La mêlée en était arrivée à ce point où la férocité entre dans tous les cœurs, où l’on préfère à sa vie la mort d’un ennemi que l’on ne connaît pas, où l’on marche avec indifférence sur des amas de blessés et de cadavres parmi lesquels le mourant se réveille, pour combattre encore de sa morsure celui qui le foule aux pieds.

C’est dans ce moment qu’un petit homme, que plusieurs combattants, à travers les fumées et les vapeurs du sang, prirent d’abord, à son vêtement de peaux de bêtes, pour un animal sauvage, se jeta au milieu du carnage, avec d’horribles rires et des hurlements de joie. Nul ne savait d’où il venait, ni pour quel parti il combattait, car sa hache de pierre ne choisissait pas ses