Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/305

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L’évêque prononça d’un signe de tête qu’il était satisfait ; et le président, s’adressant à un autre accusé, prononça la formule usitée :

— Quel est votre nom ?

— Wilfrid Kennybol, des montagnes de Kole.

— Étiez-vous parmi les insurgés ?

— Oui, seigneur ; la vérité vaut mieux que la vie. J’ai été pris dans les gorges maudites du Pilier-Noir. J’étais le chef des montagnards.

— Qui vous a poussé au crime de rébellion ?

— Nos frères les mineurs se plaignaient de la tutelle royale, et cela était tout simple, n’est-ce pas, votre courtoisie ? Vous n’auriez qu’une hutte de boue et deux mauvaises peaux de renard, que vous ne seriez pas fâché d’en être le maître. Le gouvernement n’a pas écouté leurs prières. Alors, seigneur, ils ont songé à se révolter, et nous ont priés de les aider. Un si petit service ne se refuse pas entre frères qui récitent les mêmes oraisons et chôment les mêmes saints. Voilà tout.

— Personne, dit le président, n’a-t-il éveillé, encouragé et dirigé votre insurrection ?

— C’était un seigneur Hacket, qui nous parlait sans cesse de délivrer un comte prisonnier à Munckholm, dont il se disait l’envoyé. Nous le lui avons promis, parce qu’une liberté de plus ne nous coûtait rien.

— Ce comte ne s’appelait-il pas Schumacker ou Griffenfeld ?

— Justement, votre courtoisie.

— Vous ne l’avez jamais vu ?

— Non, seigneur ; mais si c’est ce vieillard qui vous a dit tout à l’heure tant de noms, je ne puis faire autrement que de convenir…

— De quoi ? interrompit le président.

— Qu’il a une bien belle barbe blanche, seigneur, presque aussi belle que celle du père du mari de ma sœur Maase, de la bourgade de Surb, lequel a vécu jusqu’à cent vingt ans.

L’ombre répandue dans la salle empêcha de voir si le président paraissait désappointé de la naïve réponse du montagnard. Il ordonna aux archers de déployer quelques bannières couleur de feu déposées devant le tribunal.

— Wilfrid Kennybol, dit-il, reconnaissez-vous ces bannières ?

— Oui, votre courtoisie ; elles nous ont été données par Hacket, au nom du comte Schumacker. Le comte fit distribuer aussi des armes aux mineurs ; car nous n’en avions pas besoin, nous autres montagnards, qui vivons de la carabine et de la gibecière. Et moi, seigneur, tel que vous me voyez, attaché ici comme une méchante poule qu’on va rôtir, j’ai plus d’une fois, du fond de nos vallées, atteint de vieux aigles, lorsque, au plus haut de leur vol, ils ne semblaient que des alouettes ou des grives.