I
Quand vint le tour du capitaine Léopold d’Auverney, il ouvrit de grands yeux et avoua à ces messieurs qu’il ne connaissait réellement aucun événement de sa vie qui méritât de fixer leur attention.
— Mais, capitaine, lui dit le lieutenant Henri, vous avez pourtant, dit-on, voyagé et vu le monde. N’avez-vous pas visité les Antilles, l’Afrique et l’Italie, l’Espagne ?… Ah ! capitaine, votre chien boiteux !
D’Auverney tressaillit, laissa tomber son cigare, et se retourna brusquement vers l’entrée de la tente, au moment où un chien énorme accourait en boitant vers lui.
Le chien écrasa en passant le cigare du capitaine ; le capitaine n’y fit nulle attention.
Le chien lui lécha les pieds, le flatta avec sa queue, jappa, gambada de son mieux, puis vint se coucher devant lui. Le capitaine, ému, oppressé, le caressait machinalement de la main gauche, en détachant de l’autre la mentonnière de son casque, et répétait de temps en temps : — Te voilà, Rask ! te voilà ! — Enfin il s’écria : — Mais qui donc t’a ramené ?
— Avec votre permission, mon capitaine…
Depuis quelques minutes, le sergent Thadée avait soulevé le rideau de la tente, et se tenait debout, le bras droit enveloppé dans sa redingote, les larmes aux yeux, et contemplant en silence le dénouement de l’odyssée. Il hasarda à la fin ces paroles : Avec votre permission, mon capitaine… D’Auverney leva les yeux.
— C’est toi, Thad ; et comment diable as-tu pu ?… Pauvre chien ! je le croyais dans le camp anglais. Où donc l’as-tu trouvé ?
— Dieu merci ! vous m’en voyez, mon capitaine, aussi joyeux que monsieur votre neveu, quand vous lui faisiez décliner cornu, la corne ; cornu, de la corne…
— Mais dis-moi donc où tu l’as trouvé ?
— Je ne l’ai pas trouvé, mon capitaine, j’ai bien été le chercher.