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BUG-JARGAL.

Son visage s’éclaircit ; il s’attendait à me voir tomber dans ses bras. Je le regardai d’un air farouche.

— Tu désavoues tout ce que m’ont fait les tiens, lui dis-je avec l’accent de la fureur, et tu ne parles pas de ce que tu m’as fait, toi !

— Quoi donc ? demanda-t-il.

Je m’approchai violemment de lui, et ma voix devint un tonnerre :

— Où est Marie ? qu’as-tu fait de Marie ?

À ce nom, un nuage passa sur son front ; il parut un moment embarrassé. Enfin, rompant le silence :

Maria ! répondit-il. Oui, tu as raison… Mais trop d’oreilles nous écoutent.

Son embarras, ces mots : Tu as raison, rallumèrent un enfer dans mon cœur. Je crus voir qu’il éludait ma question. En ce moment il me regarda avec son visage ouvert, et me dit avec une émotion profonde :

— Ne me soupçonne pas, je t’en conjure. Je te dirai tout cela ailleurs. Tiens, aime-moi comme je t’aime, avec confiance.

Il s’arrêta un instant pour observer l’effet de ses paroles, et ajouta avec attendrissement :

— Puis-je t’appeler frère ?

Mais ma colère jalouse avait repris toute sa violence, et ces paroles tendres, qui me parurent hypocrites, ne firent que l’exaspérer.

— Oses-tu bien me rappeler ce temps ? m’écriai— je, misérable ingrat !

Il m’interrompit. De grosses larmes brillaient dans ses yeux.

— Ce n’est pas moi qui suis ingrat !

— Eh bien, parle ! repris-je avec emportement. Qu’as-tu fait de Marie ?

— Ailleurs, ailleurs ! me répondit-il. Ici nos oreilles n’entendent pas seules ce que nous disons. Au reste, tu ne me croirais pas sans doute sur parole, et puis le temps presse. Voilà qu’il fait jour, et il faut que je te tire d’ici. Écoute, tout est fini, puisque tu doutes de moi, et tu feras aussi bien de m’achever avec un poignard ; mais attends encore un peu avant d’exécuter ce que tu appelles ta vengeance ; je dois d’abord te délivrer. Viens avec moi trouver Biassou.

Cette manière d’agir et de parler cachait un mystère que je ne pouvais comprendre. Malgré toutes mes préventions contre cet homme, sa voix faisait toujours vibrer une corde dans mon cœur. En l’écoutant, je ne sais quelle puissance me dominait. Je me surprenais balançant entre la vengeance et la pitié, la défiance et un aveugle abandon. Je le suivis.