XLVIII
Enfin, poussant un soupir, je pris d’une main la main de Bug-Jargal, de l’autre celle de ma pauvre Marie, qui observait avec anxiété le nuage sinistre répandu sur mes traits.
— Bug-Jargal, dis-je avec effort, je te confie le seul être au monde que j’aime plus que toi, Marie. — Retournez au camp sans moi, car je ne puis vous suivre.
— Mon Dieu, s’écria Marie respirant à peine, quelque nouveau malheur !
Bug-Jargal avait tressailli. Un étonnement douloureux se peignait dans ses yeux.
— Frère, que dis-tu ?
La terreur qui oppressait Marie à la seule idée d’un malheur que sa trop prévoyante tendresse semblait deviner me faisait une loi de lui en cacher la réalité et de lui épargner des adieux si déchirants ; je me penchai à l’oreille de Bug-Jargal, et lui dis à voix basse :
— Je suis captif. J’ai juré à Biassou de revenir me mettre en son pouvoir deux heures avant la fin du jour ; j’ai promis de mourir.
Il bondit de fureur ; sa voix devint éclatante.
— Le monstre ! Voilà pourquoi il a voulu t’entretenir secrètement ; c’était pour t’arracher cette promesse. J’aurais dû me défier de ce misérable Biassou. Comment n’ai-je pas prévu quelque perfidie ? Ce n’est pas un noir, c’est un mulâtre.
— Qu’est-ce donc ? Quelle perfidie ? Quelle promesse ? dit Marie épouvantée ; qui est ce Biassou ?
— Tais-toi, tais-toi, répétai-je bas à Bug-Jargal, n’alarmons pas Marie.
— Bien, me dit-il d’un ton sombre. Mais comment as-tu pu consentir à cette promesse ? pourquoi l’as-tu donnée ?
— Je te croyais ingrat, je croyais Marie perdue pour moi. Que m’importait la vie ?
— Mais une promesse de bouche ne peut t’engager avec ce brigand ?
— J’ai donné ma parole d’honneur.
Il parut chercher à comprendre ce que je voulais dire.
— Ta parole d’honneur ! Qu’est-ce que cela ? Vous n’avez pas bu à la même coupe ? Vous n’avez pas rompu ensemble un anneau ou une branche d’érable à fleurs rouges ?