— C’est à moi plutôt que s’applique votre comparaison, car, durant votre absence, je n’ai eu d’autre bonheur que la présence d’un infortuné, de mon père. Je passais mes longues journées à le consoler, et, ajouta-t-elle en baissant les yeux, à vous espérer. Je lisais à mon père les fables de l’Edda, et quand je l’entendais douter des hommes, je lui lisais l’Évangile, pour qu’au moins il ne doutât pas du ciel ; puis je lui parlais de vous, et il se taisait, ce qui prouve qu’il vous aime. Seulement, quand j’avais inutilement passé mes soirées à regarder de loin sur les routes les voyageurs qui arrivaient, et dans le port les vaisseaux qui abordaient, il secouait la tête avec un sourire amer, et je pleurais. Cette prison, où s’est jusqu’ici passée toute ma vie, m’était devenue odieuse, et pourtant mon père, qui, jusqu’à votre apparition, l’avait toujours remplie pour moi, y était encore ; mais vous n’y étiez plus, et je désirais cette liberté que je ne connaissais pas.
Il y avait dans les yeux de la jeune fille, dans la naïveté de sa tendresse, dans la douce hésitation de ses épanchements, un charme que des paroles humaines n’exprimeraient pas. Ordener l’écoutait avec cette joie rêveuse d’un être qui serait enlevé au monde réel pour assister au monde idéal.
— Et moi, dit-il, maintenant je ne veux plus de cette liberté que vous ne partagez pas !
— Quoi, Ordener ! reprit vivement Éthel, vous ne nous quitterez donc plus ?
Cette expression rappela au jeune homme tout ce qu’il avait oublié.
— Mon Éthel, il faut que je vous quitte ce soir. Je vous reverrai demain, et demain je vous quitterai encore, jusqu’à ce que je revienne pour ne plus vous quitter.
— Hélas ! interrompit douloureusement la jeune fille, absent encore !
— Je vous répète, ma bien-aimée Éthel, que je reviendrai bientôt vous arracher de cette prison ou m’y ensevelir avec vous.
— Prisonnière avec lui ! dit-elle doucement. Ah ! ne me trompez pas, faut-il que j’espère tant de bonheur !
— Quel serment te faut-il ? que veux-tu de moi ? s’écria Ordener ; dis-moi, mon Éthel, n’es-tu pas mon épouse ? — Et, transporté d’amour, il la serrait fortement contre sa poitrine.
— Je suis à toi, murmura-t-elle faiblement.
Ces deux cœurs nobles et purs battaient ainsi avec délices l’un contre l’autre, et n’en étaient que plus nobles et plus purs.
En ce moment un violent éclat de rire se fit entendre auprès d’eux. Un homme enveloppé d’un manteau découvrit une lanterne sourde qu’il y avait