Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/58

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état ; on se reposait à cet égard sur la loyauté des chevaliers ; comme dans les anciens tournois, si les juges du camp, croyant la loi courtoise violée, jetaient leur bâton dans l’arène, à l’instant tous les combattants s’arrêtaient ; mais, jusqu’à l’éclaircissement du doute, la gorge du vaincu restait à la même distance de l’épée du vainqueur.

— Eh bien ! chevalier, dit Ordener après un moment de réflexion, dans un mois, un messager vous instruira du lieu.

— Soit, répondit le lieutenant ; d’autant mieux que cela me donnera le temps d’assister aux cérémonies du mariage de ma sœur, car vous saurez que vous aurez l’honneur de vous battre avec le futur beau-frère d’un haut seigneur, du fils du vice-roi de Norvège, du baron Ordener Guldenlew, lequel, à l’occasion de cet illustre hyménée, comme dit Artamène, va être créé comte de Danneskiold, colonel et chevalier de l’Éléphant ; et moi-même, qui suis le fils du grand-chancelier des deux royaumes, je serai sans doute nommé capitaine…

— Fort bien, fort bien, lieutenant d’Ahlefeld, dit Ordener avec impatience, vous n’êtes point encore capitaine, ni le fils du vice-roi colonel ; — et les sabres sont toujours des sabres.

— Et les rustres toujours des rustres, quoi qu’on fasse pour les élever jusqu’à soi, dit entre ses dents l’officier.

— Chevalier, continua Ordener, vous connaissez la loi courtoise. Vous n’entrerez plus dans ce donjon, et vous garderez le silence sur cette affaire.

— Pour le silence, rapportez-vous-en à moi, je serai aussi muet que Muce Scévole lorsqu’il eut le poing sur le brasier. Je n’entrerai non plus dans le donjon, ni moi, ni aucun argus de la garnison ; car je viens de recevoir un ordre d’y laisser à l’avenir Schumacker sans gardes, ordre que j’étais chargé de lui communiquer ce soir ; ce que j’aurais fait si je n’avais passé une partie de la soirée à essayer de nouvelles bottines de Cracovie. — Cet ordre, entre nous, est bien imprudent. — Voulez-vous que je vous montre mes bottines ?

Pendant cette conversation, Éthel, les voyant apaisés, et ne comprenant pas ce que c’était qu’un duellum remotum, avait disparu, après avoir dit doucement à l’oreille d’Ordener : À demain.

— Je voudrais, lieutenant d’Ahlefeld, que vous m’aidassiez à sortir du fort.

— Volontiers, dit l’officier, quoiqu’il soit un peu tard, ou plutôt de bien bonne heure. Mais comment trouverez-vous une barque ?

— Cela me regarde, dit Ordener.

Alors, s’entretenant de bonne amitié, ils traversèrent le jardin, la cour