Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/62

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— Veux-tu que je te fasse connaître un sommeil plus profond encore ?

Spiagudry fit une grimace de terreur, qui seule pouvait être plus plaisante que ses grimaces de gaieté.

— Eh bien ! qu’est-ce ? continua le petit homme. Qu’as-tu ? Est-ce que ma présence ne t’est pas agréable ?

— Oh ! mon maître et seigneur, répondit le vieux concierge, il n’est certainement pas pour moi de bon heur plus grand que la vue de votre excellence.

Et l’effort qu’il faisait pour donner à sa physionomie effrayée une expression riante eût déridé tout autre que des morts.

— Vieux renard sans queue, mon excellence t’ordonne de me remettre les vêtements de Gill Stadt.

En prononçant ce nom, le visage farouche et railleur du petit homme devint sombre et triste.

— Oh ! maître, pardonnez, je ne les ai plus, dit Spiagudry ; votre grâce sait que nous sommes obligés de livrer au fisc royal les dépouilles des ouvriers des mines, dont le roi hérite en sa qualité de leur tuteur né.

Le petit homme se tourna vers le cadavre, croisa les bras, et dit d’une voix sourde : — Il a raison. Ces misérables mineurs sont comme l’eider[1] ; on lui fait son nid, on lui prend son duvet.

Puis soulevant le cadavre entre ses bras et l’étreignant fortement, il se mit à pousser des cris sauvages d’amour et de douleur, pareils aux grondements d’un ours qui caresse son petit. À ces sons inarticulés, se mêlaient, par intervalles, quelques mots d’un jargon étrange que Spiagudry ne comprenait pas.

Il laissa retomber le cadavre sur la pierre, et se tourna vers le gardien.

— Sais-tu, sorcier maudit, le nom du soldat né sous un mauvais astre qui a eu le malheur d’être préféré à Gill par cette fille ?

Et il poussa du pied les restes froids de Guth Stersen.

Spiagudry fit un signe négatif.

— Eh bien ! par la hache d’Ingolphe, le chef de ma race, j’exterminerai tous les porteurs de cet uniforme ; et il désignait les vêtements de l’officier. — Celui dont je veux vengeance se trouvera dans le nombre. J’incendierai toute la forêt pour brûler l’arbuste vénéneux qu’elle renferme. Je l’ai juré du jour où Gill est mort ; et je lui ai donné déjà un compagnon qui doit réjouir son cadavre. — Ô Gill ! te voilà donc là sans force et sans vie,

  1. Oiseau qui donne l’édredon. Les paysans norvégiens lui construisent des nids, où ils le surprennent et le plument