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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/679

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LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ

Et mille billevesées. Il se tournait tour à tour vers le prêtre et vers moi, et je ne répondais qu’en haussant les épaules.

— Eh bien ! m’a-t-il dit, à quoi pensez-vous donc ?

— Je pense, ai-je répondu, que je ne penserai plus ce soir.

— Ah ! c’est cela ! a-t-il répliqué. Allons, vous êtes trop triste ! M. Castaing causait.

Puis, après un silence :

— J’ai conduit M. Papavoine ; il avait sa casquette de loutre et fumait son cigare. Quant aux jeunes gens de La Rochelle, ils ne parlaient qu’entre eux. Mais ils parlaient.

Il a fait encore une pause, et a poursuivi :

— Des fous ! des enthousiastes ! Ils avaient l’air de mépriser tout le monde. Pour ce qui est de vous, je vous trouve vraiment bien pensif, jeune homme.

— Jeune homme ! lui ai-je dit, je suis plus vieux que vous ; chaque quart d’heure qui s’écoule me vieillit d’une année.

Il s’est retourné, m’a regardé quelques minutes avec un étonnement inepte, puis s’est mis à ricaner lourdement.

— Allons, vous voulez rire, plus vieux que moi ! je serais votre grand-père.

— Je ne veux pas rire, lui ai-je répondu gravement.

Il a ouvert sa tabatière.

— Tenez, cher monsieur, ne vous fâchez pas ; une prise de tabac, et ne me gardez pas rancune.

— N’ayez pas peur ; je n’aurai pas longtemps à vous la garder.

En ce moment sa tabatière, qu’il me tendait, a rencontré le grillage qui nous séparait. Un cahot a fait qu’elle l’a heurté assez violemment et est tombée tout ouverte sous les pieds du gendarme.

— Maudit grillage ! s’est écrié l’huissier.

Il s’est tourné vers moi.

— Eh bien ! ne suis-je pas malheureux ? tout mon tabac est perdu !

— Je perds plus que vous, ai-je répondu en souriant.

Il a essayé de ramasser son tabac, en grommelant entre ses dents :

— Plus que moi ! cela est facile à dire. Pas de tabac jusqu’à Paris ! c’est terrible !

L’aumônier alors lui a adressé quelques paroles de consolation, et je ne sais si j’étais préoccupé, mais il m’a semblé que c’était la suite de l’exhortation dont j’avais eu le commencement. Peu à peu la conversation s’est engagée entre le prêtre et l’huissier ; je les ai laissés parler de leur côté, et je me suis mis à penser du mien.