Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/76

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— Cet officier est donc mort assassiné ? demanda Ordener, ramené par cette transition au but de sa recherche.

— Oui, sans doute, seigneur.

— Et par qui ? par qui ?

— Au nom de la sainte que votre mère invoquait en vous donnant le jour, ne cherchez pas à savoir ce nom, mon jeune maître, ne me forcez pas à le révéler.

— Si l’intérêt que j’ai à le savoir avait besoin d’être accru, vous y ajouteriez, vieillard, l’intérêt de la curiosité. Je vous commande de me nommer ce meurtrier.

— Eh bien, dit Spiagudry, remarquez ces profondes déchirures produites par des ongles longs et tranchants sur le corps de ce malheureux. Elles vous nomment l’assassin.

Et le vieillard montrait à Ordener de longues et fortes égratignures sur le cadavre nu et lavé.

— Comment ? dit Ordener, est-ce quelque bête fauve ?

— Non, mon jeune seigneur.

— Mais, à moins que ce ne soit le diable…

— Chut ! prenez garde de trop bien deviner. N’avez-vous jamais entendu parler, poursuivit le concierge à voix basse, d’un homme ou d’un monstre à face humaine, dont les ongles sont aussi longs que ceux d’Astaroth qui nous a perdus, ou de l’Antechrist qui nous perdra ?

— Parlez plus clairement.

— Malheur ! dit l’Apocalypse…

— C’est le nom de l’assassin que je vous demande.

— L’assassin… le nom ?… Seigneur, ayez pitié de moi, ayez pitié de vous.

— La seconde de ces prières détruirait la première, quand bien même des motifs graves ne me forceraient pas à t’arracher ce nom. N’abuse pas plus longtemps…

— Eh bien, vous le voulez, jeune homme, dit Spiagudry se redressant et d’une voix haute, ce meurtrier, ce profanateur est Han d’Islande.

Ce nom redoutable n’était pas ignoré d’Ordener.

— Comment ! reprit-il, Han ! cet exécrable bandit !

— Ne l’appelez pas bandit, car il vit toujours seul.

— Alors, misérable, comment le connaissez-vous ? Quels crimes communs vous ont donc rapprochés ?

— Oh ! noble maître, daignez ne pas croire aux apparences. Le tronc de chêne est-il vénéneux parce que le serpent s’y abrite ?

— Point de vaines paroles ! un scélérat ne peut avoir d’ami qu’un complice.