Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/779

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Nous avons cru devoir raconter en détail l’histoire de Claude Gueux, parce que, selon nous, tous les paragraphes de cette histoire pourraient servir de têtes de chapitre au livre où serait résolu le grand problème du peuple au dix-neuvième siècle.

Dans cette vie importante il y a deux phases principales : avant la chute, après la chute ; et, sous ces deux phases, deux questions : question de l’éducation, question de la pénalité ; et, entre ces deux questions, la société tout entière.

Cet homme, certes, était bien né, bien organisé, bien doué. Que lui a-t-il donc manqué ? Réfléchissez.

C’est là le grand problème de proportion dont la solution, encore à trouver, donnera l’équilibre universel : Que la société fasse toujours pour l’individu autant que la nature.

Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait, sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite, qu’il finit par voler ; la société le met dans une prison si mal faite, qu’il finit par tuer.

Qui est réellement coupable ? Est-ce lui ? Est-ce nous ?

Questions sévères, questions poignantes, qui sollicitent à cette heure toutes les intelligences, qui nous tirent tous tant que nous sommes par le pan de notre habit, et qui nous barreront un jour si complètement le chemin, qu’il faudra bien les regarder en face et savoir ce qu’elles nous veulent.

Celui qui écrit ces lignes essaiera de dire bientôt peut-être de quelle façon il les comprend.

Quand on est en présence de pareils faits, quand on songe à la manière dont ces questions nous pressent, on se demande à quoi pensent ceux qui gouvernent, s’ils ne pensent pas à cela.

Les Chambres sont tous les ans gravement occupées. Il est sans doute très important de désenfler les sinécures et d’écheniller le budget ; il est très important de faire des lois pour que j’aille, déguisé en soldat, monter patriotiquement la garde à la porte de M. le comte de Lobau que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître, ou pour me contraindre à parader au carré Marigny, sous le bon plaisir de mon épicier, dont on a fait mon officier[1].

Il est important, députés ou ministres, de fatiguer et de tirailler toutes les choses et toutes les idées de ce pays dans des discussions pleines d’avortements ; il est essentiel, par exemple, de mettre sur la sellette et d’interroger

  1. Il va sans dire que nous n’entendons pas attaquer ici la patrouille urbaine, chose utile, qui garde la rue, le seuil et le foyer ; mais seulement la parade, le pompon, la gloriole et le tapage militaire, choses ridicules, qui ne servent qu’à faire du bourgeois une parodie du soldat.