Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/85

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se ranima de vie et de joie. Elle soupira profondément, comme si son cœur eût été allégé d’un poids insupportable, et son sourire triste et furtif s’élança au-devant du nouveau venu. — C’était Ordener.

Le vieillard, la jeune fille et l’officier étaient devant Ordener dans une position singulière, ils avaient chacun un secret commun avec lui ; aussi se gênaient-ils réciproquement. Le retour d’Ordener au donjon ne surprit ni Schumacker ni Éthel, qui l’attendaient ; mais il étonna le lieutenant, autant que la présence du lieutenant surprit Ordener, qui aurait pu craindre quelque indiscrétion de l’officier sur la scène de la veille, si le silence prescrit par la loi courtoise ne l’eût rassuré. Il ne pouvait donc que s’étonner de le voir paisiblement assis près des deux prisonniers.

Ces quatre personnages ne pouvaient rien se dire réunis, précisément parce qu’ils auraient eu beaucoup à se dire isolément. Aussi, hormis les regards d’intelligence et d’embarras, l’accueil que reçut Ordener fut-il absolument muet.

Le lieutenant partit d’un éclat de rire.

— Par la queue du manteau royal, mon cher nouveau-venu, voilà un silence qui ne ressemble pas mal à celui des sénateurs gaulois, quand le romain Brennus… Je ne sais, en honneur, déjà plus qui était romain ou gaulois, des sénateurs ou du général. N’importe ! puisque vous voilà, aidez-moi à instruire cet honorable vieillard de ce qui se passe de nouveau. J’allais, sans votre subite entrée en scène, l’entretenir du mariage illustre qui occupe en ce moment mèdes et persans.

— Quel mariage ? dirent en même temps Ordener et Schumacker.

— À la coupe de vos vêtements, seigneur étranger, s’écria le lieutenant en frappant des mains, j’avais déjà pressenti que vous veniez de quelque autre monde. Voici une question qui change en certitude mon soupçon. Vous êtes sans doute débarqué hier sur les bords de la Nidder, dans un char-fée attelé de deux griffons ailés ; car vous n’auriez pu parcourir la Norvège sans entendre parler du fameux mariage du fils du vice-roi avec la fille du grand-chancelier.

Schumacker se tourna vers le lieutenant.

— Quoi ! Ordener Guldenlew épouse Ulrique d’Ahlefeld ?

— Comme vous dites, répondit l’officier, et cela sera conclu avant que la mode des vertugadins à la française soit passée à Copenhague.

— Le fils de Frédéric doit avoir environ vingt-deux ans ; car j’étais depuis une année dans la forteresse de Copenhague quand le bruit de sa naissance parvint jusqu’à moi. Qu’il se marie jeune, continua Schumacker avec un sourire amer ; au moment de la disgrâce on ne lui reprochera pas du moins d’avoir ambitionné le chapeau de cardinal.