Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/87

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— Amoureux ?

— Amoureux fou !

— Il faudrait en effet qu’il fût fou pour en être amoureux.

— Holà ! n’oubliez pas de qui et à qui vous parlez. Ne dirait-on pas que le fils du comte vice-roi n’a pu s’éprendre d’une dame sans consulter ce rustaud ?

En parlant ainsi, l’officier s’était levé. Éthel, qui vit le regard d’Ordener s’enflammer, se précipita devant lui.

— Oh ! dit-elle, de grâce calmez-vous ; n’écoutez pas ces injures ; que nous importe que le fils du vice-roi aime la fille du chancelier ?

Cette douce main posée sur le cœur du jeune homme en apaisa la tempête ; il abaissa sur son Éthel un regard enivré, et n’entendit plus le lieutenant qui, reprenant sa gaieté, s’écriait : — La damoiselle remplit avec une grâce infinie le rôle des dames sabines entre leurs pères et leurs maris. Mes paroles étaient peu mesurées ; j’oubliais, poursuivit-il en s’adressant à Ordener, qu’il existait entre nous un lien de fraternité, et que nous ne pouvions plus nous provoquer. — Chevalier, donnez-moi la main. Convenez-en, vous aviez aussi oublié que vous parliez du fils du vice-roi à son futur beau-frère, le lieutenant d’Ahlefeld.

À ce nom, Schumacker, qui avait tout observé jusque-là d’un œil d’indifférence ou d’impatience, s’élança de son siège de pierre en poussant un cri terrible.

— D’Ahlefeld ! un d’Ahlefeld devant moi ! Serpent ! comment n’ai-je pas reconnu dans le fils son exécrable père ! Laissez-moi paisible dans mon cachot, je n’ai point été condamné au supplice de vous voir. Il ne me manque plus, comme il l’osait souhaiter tout à l’heure, que de voir le fils de Guldenlew près du fils d’Ahlefeld ! — Traîtres ! lâches ! que ne viennent-ils eux-mêmes jouir de mes larmes de démence et de rage ? Race ! race abhorrée ! fils d’Ahlefeld, laisse-moi !

L’officier, d’abord étourdi de la vivacité de ces imprécations, retrouva bientôt la colère et la parole.

— Silence ! vieil insensé ! auras-tu bientôt fini de me chanter les litanies des démons ?

— Laisse, laisse-moi ! poursuivit le vieillard, et emporte ma malédiction, pour toi et la misérable race de Guldenlew qui va s’allier à la tienne.

— Pardieu, s’écria l’officier furieux, tu me fais un double outrage !

Ordener arrêta le lieutenant, qui ne se connaissait plus.

— Respectez un vieillard dans votre ennemi, lieutenant ; nous avons déjà des satisfactions à nous rendre, je vous ferai raison des offenses du prisonnier.